Articles - Morale
Quelles sont les douleurs morales ?
3 juillet 2021 par jerome lecoq
Lorsque nous nous référons à la douleur psychologique, nous entendons généralement des sentiments négatifs, des sentiments douloureux qui, comme Spinoza l’a joliment dit, « diminuent la puissance d’exister » du Sujet. Passons les tranquillement en revue.
Tristesse
La première et la plus évidente est la tristesse, comme lorsque les gens subissent la perte d’un être cher. Ils souffrent, avec des signes physiques comme les pleurs et la perte d’appétit, de la perte irrémédiable de la personne avec qui ils ont partagé de nombreuses tranches de vie joyeuses et moins joyeuses. Ces moments-là sont perdus à jamais et ne survivront que dans leur mémoire. Avec la perte, ils vivent la finitude radicale de leur être et le silence en retour de leurs appels désespérés. Leur cœur est lourd, leur énergie est épuisée, ils perdent leur appétit pour la vie, ils voient la personne disparue à chaque coin de rue, ils résistent à admettre le néant qui remplacera désormais leur objet d’amour. Cela peut être comme une sorte de vertige où l’esprit est paralysé. Ils ont le sentiment que leur monde s’est considérablement rétréci et qu’ils ne pourront plus jamais le réinvestir. Ils pourraient même vouloir mourir pour échapper à leurs souffrances. Chaque petite difficulté leur semble insurmontable, comme s’ils avaient des vêtements faits de plomb qui les retenaient implacablement au sol : ils sont atterrés au sens propre comme figuré. Rien de ce qu’ils aimaient avant ne semble avoir de goût ou d’intérêt par rapport au poids de la perte qu’ils subissent actuellement.
Dans: Culpabilité Tristesse Morale Humiliation Douleur Victime Insatisfaction
Pourquoi nous sommes fascinés par le mal radical ?
27 mai 2021 par jerome lecoq
Distance nécessaire
La fascination est le fait pour un individu ou un groupe d’être fortement impressionné par un phénomène ou une personne voire une chose et en même temps d’avoir conscience que ce phénomène lui est radicalement étranger ou inaccessible. La fascination est une forme d'attirance-répulsion et laisse le Sujet passif, comme hypnotisé.
Le fasciné, confère à son objet de fascination une singularité radicale ce qui l'empêche de le penser car penser implique de relier un concept à des catégories générales.
Le contraire de la fascination est l'indifférence, la banalité, la transparence. Dans ce qui nous fascine il y a toujours une part de mystère, d’inexplicable, de caché. Le mal nous fascine à partir du moment où il n'est pas banal.
21 nuances de mensonge (Partie II)
9 février 2021 par jerome lecoq
11- Le mythe
Nous avons tous en tête des histoires collectives ou individuelles que nous aimons nous raconter afin de nous procurer une identité. Ce mythe est le résultat d'un polissage avec le temps qui a fait qu'il possède différentes versions selon l'effet que l'on recherche à obtenir sur nous-mêmes ou les autres.
Ce mythe sert en général de consolation, de justification ou de diversion à notre existence. Il vient illustrer de manière tout à fait opportune l'image que nous voulons renvoyer de nous-même, même s'il contient un corpus factuel à l'origine. Avec le temps, les apports et aménagements viennent se sédimenter afin de s'adapter aux circonstances et à l'auditoire et il devient difficile d'en retracer la genèse véritable. Ainsi on peut dire que toute réalité relève d'une fabrication chez l'homme : la différence tient au degré de crédibilité que le Sujet accord à tous ces mythes.
Réfléchir avec une fable : le Lion, le Loup et le Renard
21 juin 2019 par jerome lecoq
Un Lion décrépit, goutteux, n'en pouvant plus,
Voulait que l'on trouvât remède à la vieillesse :
Alléguer l'impossible aux Rois, c'est un abus.(1)
Celui-ci parmi chaque espèce
Manda des Médecins ; il en est de tous arts : (2)
Médecins au Lion viennent de toutes parts ;
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.
Dans les visites qui sont faites,
Le Renard se dispense, et se tient clos et coi. (3)
Le Loup en fait sa cour, daube (4) au coucher du Roi
Son camarade absent ; le Prince tout à l'heure
Veut qu'on aille enfumer Renard dans sa demeure,
Qu'on le fasse venir. Il vient, est présenté ;
Et, sachant que le Loup lui faisait cette affaire :
Je crains, Sire, dit-il, qu'un rapport peu sincère,
Ne m'ait à mépris (5) imputé
D'avoir différé cet hommage ;
Mais j'étais en pèlerinage ;
Et m'acquittais d'un voeu fait pour votre santé.
Même j'ai vu dans mon voyage
Gens experts et savants ; leur ai dit la langueur
Dont votre Majesté craint à bon droit la suite.
Vous ne manquez que de chaleur :
Le long âge en vous l'a détruite :
D'un Loup écorché vif appliquez-vous la peau
Toute chaude et toute fumante ;
Dans: Morale
Réfléchir avec une fable : le corbeau, la gazelle, la tortue et le rat.
21 juin 2019 par jerome lecoq
La Gazelle, le Rat, le Corbeau, la Tortue,
Vivaient ensemble unis : douce société.
Le choix d'une demeure aux humains inconnue
Assurait leur félicité.
Mais quoi ! l'homme découvre enfin toutes retraites.
Soyez au milieu des déserts,
Au fond des eaux, en haut des airs,
Vous n'éviterez point ses embûches secrètes.
La Gazelle s'allait ébattre innocemment,
Quand un Chien, maudit instrument
Du plaisir barbare des hommes,
Vint sur l'herbe éventer les traces de ses pas.
Elle fuit, et le Rat, à l'heure du repas,
Dit aux amis restants : D'où vient que nous ne sommes
Aujourd'hui que trois conviés ?
La Gazelle déjà nous a-t-elle oubliés ?
A ces paroles, la Tortue
S'écrie et dit : Ah si j'étais
Comme un Corbeau, d'ailes pourvue,
Tout de ce pas je m'en irais
Apprendre au moins quelle contrée,
Quel accident tient arrêtée
Notre compagne au pied léger ;
Car, à l'égard du cœur, il en faut mieux juger.
Le Corbeau part à tire d'aile :
Il aperçoit de loin l'imprudente Gazelle
Prise au piège, et se tourmentant.
Il retourne avertir les autres à l'instant.
Car, de lui demander quand, pourquoi, ni comment
Ce malheur est tombé sur elle,
Et perdre en vains discours cet utile moment,
Comme eût fait un maître d'école
Il avait trop de jugement.
Le corbeau donc vole et revole.
Sur son rapport, les trois amis
Tiennent conseil. Deux sont d'avis
De se transporter sans remise
Aux lieux où la Gazelle est prise.
L'autre, dit le corbeau, gardera le logis :
Avec son marcher lent, quand arriverait-elle ?
Après la mort de la gazelle.
Ces mots à peine dits, ils s'en vont secourir
Leur chère et fidèle compagne,
Pauvre Chevrette de montagne.
La Tortue y voulut courir :
La voilà comme eux en campagne,
Maudissant ses pieds courts avec juste raison,
Et la nécessité de porter sa maison.
Rongemaille (le Rat eut à bon droit ce nom)
Coupe les nœuds du lacs : on peut penser la joie.
Le chasseur vient et dit : Qui m'a ravi ma proie ?
Rongemaille, à ces mots, se retire en un trou,
Le Corbeau sur un arbre, en un bois la Gazelle :
Et le Chasseur, à demi-fou
De n'en avoir nulle nouvelle,
Aperçoit la Tortue, et retient son courroux.
D'où vient, dit-il, que je m'effraie ?
Je veux qu'à mon souper celle-ci me défraie.
Il la mit dans son sac. Elle eût payé pour tous,
Si le Corbeau n'en eût averti la Chevrette.
Celle-ci, quittant sa retraite,
Contrefait la boiteuse, et vient se présenter.
L'homme de suivre, et de jeter
Tout ce qui lui pesait : si bien que Rongemaille
Autour des nœuds du sac tant opère et travaille,
Qu'il délivre encor l'autre sœur,
Sur qui s'était fondé le souper du Chasseur.
Jean de La Fontaine
Eloge de la coopération
Ce qui frappe d'emblée dans cette fable, c'est la force d'un collectif, sa plasticité et sa résilience. Pris individuellement chacun de ces animaux n'a rien d'exceptionnel ni de particulièrement noble au sens anthropomorphique : la tortue est lente et pesante, elle qui doit porter sa maison sur son dos. Le rat est petit et possède une réputation de chapardeur et véhicule des maladies. Le corbeau est signe de mauvais présage, pousse des cris stridents et n’est pas particulièrement gracieux. La gazelle enfin, si elle est légère et rapide, est la cible généralement des grands prédateurs et a besoin d'être en troupeau pour survivre : elle est fragile. Aucun de ces animaux de ne pourrait survivre seul dans la nature qui demande des aptitudes à la compétition féroce qu’ils ne possèdent pas, au moins dans l’imaginaire collectif.
Voir le mal partout
4 janvier 2019 par jerome lecoq
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Mal
Rien de ce qui existe n’est bon. Tout est mauvais. Tout est chute, tout est déperdition. Tout est séparation, tout est dissolution. Tout est illusion, tout est poison. Sans doute faux. Mais assez amusant à penser. (O. Brenifier)
Nous connaissons le principe d'entropie : tout système tend à augmenter le chaos en lui-même, aller vers le plus vers le moins organisé, le moins rationnel, le moins vivant, le plus dispersé, isolé, stérile, fixe et mort. Nous n'échappons pas à cette règle bien sûr et nous constatons avec l'âge que nous sommes moins performants physiquement et intellectuellement, que des gens meurent autour de nous, que d'autres perdent l'esprit, la mémoire ou le sens commun. D'autres naissent évidemment et le cycle recommence, ainsi va la vie. C'est la vie dit-on d'ailleurs, parce que nous n'y pouvons rien changer.
Même les grands mythes nous parlent de déchéance et de chute : Adam et Eve n'ont-ils pas été déchus du paradis avant de fonder la communauté humaine qui portera en elle le fardeau de ce péché originel ? Les grandes oeuvres du passé finissent par tomber dans l'oubli et même les étoiles meurent un jour.Tout organisme vivant possède en son principe le fait qu'il mourra un jour après avoir déchu, tout système politique également et toute civilisation même connaît une naissance, une apogée, un déclin puis une fin plus ou moins spectaculaire. De même toute qualité humaine comporte son envers négatif.
Dans: Morale Jugement Mal Aphorismes