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De l'esprit de sérieux sur Linkedin



En passant pas mal de temps sur Linkedin je trouvais que ce réseau était assez lisse, qu'il était difficile de trouver du contenu intéressant.

D'abord il y a une invasion de la publicité et des auto-promotions à peine déguisées ce qui est je crois commun à tous les réseaux sociaux.

Ensuite je trouvais qu'il y avait un côté faux, inauthentique. Cela n'a peut-être rien de surprenant pour un endroit où l'on est censé communiquer avec des professionnels et où il est attendu que nous ne disions pas ce que nous pensons vraiment : soit nous sommes passifs car n’osons pas critiquer ce qui nous paraît inintéressant, faux, incohérent voire incompréhensible, vulgaire ou déplacé, soit nous mettons des commentaires polis et complaisants pour montrer notre adhésion ou notre “non-indifférence”.


Cependant il y a sur ce réseau un certain nombre de personnes qui prétendent s'exprimer en leur nom propre, être sincères et avoir une communication authentique. Or je suspecte une forme de narcissisme non affirmé, non assumé, qui m'agace légèrement (cela ne m'empêche pas de dormir) et je dirais que c'est probablement un trait général de notre société.


J'ai tenté de classer ces "expressions de soi" selon le type de discours et les intentions supposées de leurs auteurs et j'ai trouvé pour l'instant trois grands types de ce que j'appellerai des “discours égotiques”.


Premièrement il y a ceux qui disent "Je sais". Ils ont une expertise (reconnue ou prétendue), ils connaissent bien un domaine et ils entendent faire connaître leurs connaissances et les partager. Ce qu'ils disent vraiment : “Approuvez-moi, dites-moi que j'ai raison” On trouve notamment dans cette catégorie les “spécialistes” d’écologie, d’environnement, du réchauffement climatique mais aussi de relations internationales, de développement personnel, de ressources humaines…


Deuxièmement il y a ceux qui disent : "Je souffre". Ce sont des victimes d'abus, de harcèlement, d’injustices de toutes sortes, de discrimination, de violences réelles.

Ils sont passés par des épreuves de vie et en sont probablement sortis maintenant et ils veulent alerter les autres sur les dangers qui les menacent en témoignant. Ce qu'ils disent vraiment : “Plaignez-moi, donnez-moi une identité, reconnaissez-moi dans ma souffrance.”


Troisièmement il y a ceux qui disent : “Je suis une bonne personne”, j'aide ou je sauve ceux qui souffrent, qui subissent des injustices, ceux de la précédente catégorie. Ils sont dans le “camp du bien”. Ce sont par exemple des femmes entrepreneurs qui défendent d'autres femmes et luttent contre le manque de reconnaissance ou injustices dont elles souffrent, des personnes qui font la promotion de gens malades, handicapés (ou les deux à la fois), d’enfants maltraités, de salariés abusés etc. Bref, ce sont “les gentils”, qui ont la confiance et l'énergie de ceux qui savent qu'ils luttent pour la bonne et juste cause et qui s’indignent à la moindre occasion. Ils sont en général pétris de bonne conscience et peu ouverts à la critique.


Parfois nous retrouvons des personnes qui regroupent les deux voire les trois types à la fois. Ce sont des convertis de la souffrance, d'anciennes victimes qui se sont bâties une expertise à partir de leur expérience et entendent bien se faire reconnaître comme tels. Je dirais d'expérience que l'on retrouve dans cette catégorie pas mal de coachs (beaucoup ont fait des burn out) et des professions de la “mouvance” thérapeutique (on pourrait dire dans le domaine de “care”).


Je ne dénonce pas ces personnes puisqu' elles sont sûrement une certaine légitimité et utilité à prendre la parole sur les sujets qui les concernent et savent probablement aider d'autres gens qui en ont besoin.


En fait ce que je critique c'est plutôt ce que j'appellerais de manière générale avec Sartre “l'esprit de sérieux" de ces trois types de discours.



Leurs auteurs présentent comme des "convaincus" , des "missionnaires" ou encore des convertis à telle ou telle doctrine à la mode. D'ailleurs on les voit également sortir du bois (les technologues) à l'occasion de l'avènement de l'Intelligence Artificielle et de son lot de prédictions funestes concernant l'avenir de l'humanité dans les mains des nouveaux maîtres de ces technologies aux performances étonnantes.


Tous ces gens sont sincères, “pleins d'eux-mêmes”, “englués” dans leur bonne conscience sont persuadés que leur métier, leur expertise, leur souffrance, leur bonté constituent leur identité. Pour certains ils s’identifient totalement à la “mission” de leur entreprise, comme les “start uppers” par exemple, mais aussi certains DRH, des coachs, des entrepreneurs.


En cela ils me font fortement penser au "garçon de café"de Sartre, célèbre passage de l'Être et le Néant, qui illustre le phénomène de la mauvaise foi. Le serveur est tellement appuyé dans ses gestes, tellement diligent avec les clients, tellement attentionné avec chacun des clients (apparemment cela a changé depuis les années 40 où fut écrit le texte) tellement impeccable dans son uniforme de garçon de café. Il est convaincu qu'il n'est qu'un garçon de café, que ce titre il ne l'a pas choisi, qu'il ne pourrait être rien d'autre aujourd'hui.

Il est complètement sincère dans son engagement : il est de mauvaise foi puisqu'il prétend qu'il n'a pas choisi alors que sa condition est purement contingente et qu'il pourrait très bien avoir choisi autre chose. 

Ce que j’avance ne sont que des conjectures générales, peut-être caricaturales, qui ne prétendent pas englober tout le monde et elles ont des exceptions. J’aimerais bien cependant avoir votre avis sur les intuitions que je formule.


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