
Dans la notion de don il y a celle de bien, de bienveillance, de générosité et d'un apport positif pour celui qui reçoit. Spontanément donc on ne voit pas bien pourquoi nous devrions refuser quelque chose qui nous bénéficie. Si vos parents vous versent une somme d'argent pour vous aider à financer l'achat d'un appartement, vous dites merci, cela vous évite d'emprunter à la banque et vous ressentez de la gratitude pour leur générosité et pour le fait d'avoir la chance d'avoir des parents qui peuvent vous aider. Dans ce cas la motivation du donneur et la nature du don sont assez claires : les parents donnent à leur enfant parce qu'ils le peuvent, qu’ils l’aiment et que ce dernier en a besoin pour faire un investissement intelligent pour sa vie. Il n'y a là pas matière à se poser de question particulièrement philosophique.
Imaginons maintenant que la personne qui fait un don est une amie aisée mais seule et sans confiance en elle. Imaginons qu'elle fait souvent des cadeaux généreux sans raison apparente ni occasion particulière à son amie. Nous nous trouvons ici dans une situation ambigüe où il est clair que la donatrice achète en partie l'amitié de son "amie" afin que cette dernière lui soit redevable, reconnaissante et la garde comme amie. Le don a l'apparence de la générosité et il est probable qu’elle fasse partie de la motivation mais il y a également un désir de manipulation et donc de suppression de liberté et d'autonomie d'autrui afin de l'inféoder à la relation, de revendiquer une exclusivité sur son “amie”, ce qui va évidemment à l'encontre de la générosité.
Quelqu'un qui attend un service en retour ne fait pas un don, il investit, c'est un investisseur, un banquier : à un moment il réclamera un “retour sur investissement”, sans quoi il retirera ses billes. Par conséquent si une personne prétend faire des cadeaux à son amie et que celle-ci se rend compte que ces cadeaux ne sont pas dénués d'arrière-pensée et d'attentes de récompense, elle est en droit et il sera même préférable qu’elle refuse ce “don”. Ce refus aura peut-être pour conséquence de provoquer la colère de la donatrice qui perd ainsi un moyen de pression sur son "amie", mise face à son impuissance et à sa mauvaise estime d'elle-même. Car si elle veut acheter son amitié c'est bien qu'elle ne s'estime pas elle-même digne d’amour et qu'elle pense ne pas avoir grand-chose à donner à part des choses matérielles. Ce sera aussi l'occasion d'avoir une discussion ouverte avec elle pour lui dire qu'on n'a pas besoin de ses cadeaux pour l'aimer et que son désir d'acheter son amitié est une forme d'insulte à elle-même et à son amie. Si l'amitié ne repose sur rien d'autre alors elle cessera et ce sera une bonne chose.
Nos motivations peuvent parfois être opaques, ambiguës voire, comme tout désir, contradictoires : ainsi lorsqu'une personne vous fait un don, vous ne connaissez peut être pas sa motivation réelle. Veut-elle paraître généreuse aux yeux des autres ? Veut-elle s'acheter une bonne conscience suite à une action coupable ? Espère-t-elle un hypothétique "retour d'ascenseur" dans un futur lointain ?
On peut aussi considérer que tout don reçu ouvre une dette envers le donateur
Soit vous connaissez les motivations du donneur et vous acceptez la contrepartie implicite du don, s’il y en a une, soit vous ne les connaissez pas et là se pose un choix : ou bien vous acceptez en vous disant que “c’est toujours bon à prendre” ou bien vous refusez pour ne pas prendre de risque.
On peut ainsi aussi considérer que tout don reçu ouvre une dette envers le donateur : si honorer cette dette nous fait plaisir, comme de montrer notre gratitude ou de faire à notre tour un contre-don, alors il n'y a pas d'autre problème que de se trouver dans un système d'échange réciproques bien compris. Si en revanche on se sent redevable mais dans l'impossibilité de contre-donner alors on peut raisonnablement refuser le don initial, en essuyant les conséquences sociales de ce refus : refuser le don c'est refuser d'entrer dans un système d'échanges réciproques donc c'est en quelque sorte refuser autrui. Dans de nombreuses cultures, refuser un don comme celui de l'hospitalité ou d'un repas est une forme d'offense faite à l'hôte. C'est pourquoi il faut connaitre la nature et les motivations du donneur : ce dernier peut n'être pas motivé par un geste de générosité mais par le respect de rituels sociaux qui l'impliquent en tant que membre de son cercle. Le refus impliquerait une mise en porte-à-faux par rapport à toute la société.
Parfois aussi, donner peut se retourner contre vous : la personne accepte votre don mais est dans l'incapacité de vous rendre la pareille. Alors que vous même n'attendez rien en retour si ce n'est le plaisir d'avoir rendu service, la personne va en fait vous détester parce que en lui donnant vous lui avez montré votre supériorité matérielle et morale ce qui suscite son envie. Or celui qui envie se réjouit du malheur de celui qui possède. Ainsi s'expliquent certains comportement mesquins et sordides de personnes qui apparemment entretenaient de bonnes relations de surface avec leurs “bienfaiteurs”.
De manière générale il est intéressant, lorsqu'on vous donne ou que vous donnez, de sonder les motivations du donateur : Donnez-vous par pure générosité désintéressée ? Parce que cela vous fait plaisir de faire plaisir ? Ou bien parce que vous voulez vous débarrasser de ce qui vous encombre ? Ou pire, attendez-vous sans l'avouer un hypothétique service en retour ?
Et vous, que donnez-vous et pourquoi ? Et quand on vous donne : vous demandez-vous pourquoi ou acceptez-vous simplement sans vous poser de questions ?
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