L’être humain souffre. De ses limites, de sa finitude, de la distance entre son être et ses aspirations, de la fracture de son être, éclaté entre diverses aspirations ou pulsions, de la tension entre son individualité et son entourage. Pour compenser, pour traiter sa douleur à défaut de la guérir, nous nous inventons des consolations, diverses manières d’exister qui nous permettent de survivre existentiellement. Certes, on peut aussi nommer cela « projet de vie » ou « manière d’être ». Nous le nommons consolation. Et nous relisons divers auteurs dans cette perspective, afin de comprendre comment chacun de nous se console, chacun à sa façon.
Martin Eden, le héros du roman de Jack London, est un jeune homme pauvre, sans instruction, c’est un matelot. Une rude vie en mer faite de labeur éreintant, de brutalités des chefs, d’ivrognerie et de bagarres. Il rencontre Ruth, jeune, riche et belle, une étudiante en littérature. Il tombe amoureux d’elle, et de la culture à laquelle il n’a jamais eu accès. Il décide de devenir écrivain, avec Ruth comme guide. Mais elle décline ses avances puisqu’il ne peut lui garantir de confort matériel.
Pendant des mois, Martin s’enferme dans une chambre miteuse afin de se forger une culture encyclopédique, la clé du cœur de Ruth et des milieux bourgeois éduqués qu’il idéalise. Il dévore les livres scolaires et commence à écrire des textes, tous refusés par les éditeurs. Finalement elle l’abandonne en concluant durement « qu’il ne fera jamais rien de sa vie ».
Puis il se fait éditer et connaît un immense succès public, même parmi les intellectuels. Ses romans, d’abord refusés, sont désormais publiés. Ruth tente de lui revenir mais il la rejette. Il vit une cruelle désillusion sur la réalité de la bourgeoisie : la culture n’est qu’une parade à la pauvreté intellectuelle et morale, la mesquinerie, la jalousie et un conformisme pesant. Il devient amer et cynique, tristement indifférent au monde et il décide de s’isoler sur une île. Mais au cours de la traversée, il décide de disparaître et se laisse noyer.
Martin mène en effet une vie misérable et dure, il est traité injustement dans un monde de brutes. Il découvre un nouveau monde étincelant qui semble représenter l’ultime consolation à toutes ses souffrances. L’amour et la reconnaissance sont les éléments clés de ce paradis. Le moyen pour cette « nouvelle vie » est l’activité intellectuelle. Alors il s’engage dans l’étude et l’écriture en toute abnégation, s’imposant des souffrances auxquelles il est coutumier.
Il réussit en effet, mais découvre par la même occasion que ce succès est vain et vide. En fait, la raison de cette déchirante déception est la découverte que la société est exactement comme lui : l’amour et la culture ne sont que des moyens pour obtenir une reconnaissance sociale. Suite à cette désillusion sur la consolation pour laquelle il a travaillé si durement, il n’a plus ni le désir, ni l’énergie d’exister : son énergie existentielle a été gaspillée, il n’a plus qu’à disparaître.
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