Les consolations de l'existence : Le joueur de Dostoïevski
- Jérôme Lecoq
- 4 mai
- 2 min de lecture

L’être humain souffre. De ses limites, de sa finitude, de la distance entre son être et ses aspirations, de la fracture de son être, éclaté entre diverses aspirations ou pulsions, de la tension entre son individualité et son entourage. Pour compenser, pour traiter sa douleur à défaut de la guérir, nous nous inventons des consolations, diverses manières d’exister qui nous permettent de survivre existentiellement. Certes, on peut aussi nommer cela « projet de vie » ou « manière d’être ». Nous le nommons consolation. Et nous relisons divers auteurs dans cette perspective, afin de comprendre comment chacun de nous se console, chacun à sa façon.
Au cours de sa vie tumultueuse, l'écrivain russe Fédor Dostoïevski a lutté contre une dépendance au jeu de la roulette, une habitude qui l'a conduit à la faillite à plusieurs reprises. Pire encore, il entraînait souvent sa famille dans la dette avec lui, ce qui leur causait de grandes douleurs. Dans son roman, le joueur, écrit comme une tentative d'exorciser son propre démon, il décrit ce qu'il appelle une maladie. Dans le même temps, de manière ambiguë, tout en analysant crûment la dimension pathologique de cette activité, il loue l'esprit qui anime sa passion brûlante. Par exemple, c'est l'occasion pour lui de défendre le caractère russe, passionné, contre la mentalité froide et calculatrice des hommes d'Europe occidentale.
Il décrit minutieusement l'excitation produite par le jeu : «Je suis allé à une table et je me suis mis là pour placer des paris imaginaires juste pour voir si je pouvais deviner. ... J'avais raison dix fois de suite, et je devinais même au sujet de zero. J'étais tellement étonné que j'ai commencé à jouer et en 5 minutes a remporté 18 thalers. ...". C'est presque une extase religieuse qu'il décrit : l'impression d'avoir un lien direct avec le divin. A ce moment, il sait, il est béni, il ne peut pas échouer. Bien sûr, avec la roulette, on ne gagne jamais vraiment, à moins de tricher, alors vient immanquablement la honte. À la fois pour l'argent qu'il vole et qu'il dilapide, il essaie de se trouver des excuses : «Anya, Anya, gardez à l'esprit aussi que je ne suis pas un scélérat mais seulement un homme passionné par le jeu ...».
Le jeu est une aventure, un chemin risqué : abandonner notre destinée au hasard, l'exaltation des attentes fiévreuses, l'attente du moment de vérité, quand tout sera décidé.
Un plaisir intense envahit l'âme du joueur, mû par l'appât du gain et un désir perpétuel de gagner. En réalité, comme le sait le joueur, il n'y a rien à espérer, rien à gagner : la victoire, la joie et le bonheur sont de courte durée. Mais ce moment même où tout est possible, le «rien ne va plus», lorsque tout, richesse et gloire, est suspendu au simple mouvement d'une roue, la certitude ennuyeuse et la triste réalité que le monde peut offrir sont balayées. Même la peur terrible et pétrifiante de perdre participent de l'intoxication, de cette forme de vie intensifiée. Et rien ne peut remplacer cette extase, aucun prix n'est trop élevé pour vivre un tel moment. Jusqu'à ce que la fatigue s'installe ...
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