top of page
  • White Facebook Icon
  • White LinkedIn Icon

Nos croyances nous enferment-elles ? Libérer sa pensée par la pratique philosophique.

  • Photo du rédacteur: Jérôme Lecoq
    Jérôme Lecoq
  • 16 juin
  • 5 min de lecture

Et si les obstacles qui jalonnent notre parcours étaient, paradoxalement, nos meilleurs alliés pour une plus profonde connaissance de nous-mêmes ? Une perspective philosophique passionnante, notamment explorée par Jérôme Lèbre autour de la notion d'obstacle, suggère que notre "moi" n'est pas une entité figée. Il serait plutôt "une tendance ou une pulsion de l’être vivant, arrêtée par autre chose, et qui existe d’une manière consciente quand cet obstacle a le temps d’apparaître devant elle." C'est face à la résistance, par un "contrecoup", que nous devenons "objet d'étude pour nous-mêmes" et que notre conscience s'aiguise.

Cet article se propose d'explorer comment ce mécanisme s'applique à nos croyances limitantes – ces pensées souvent inconscientes qui "brident notre potentiel" (expression qui mériterait qu'on s'y attarde encore mais ce sera l'objet d'un autre article) – et comment la consultation en pratique philosophique, par un travail sur la pensée, peut les transformer en véritables tremplins vers de nouvelles possibilités.


Ces "murs invisibles" : comprendre la croyance limitante comme obstacle interne.


Nous portons tous en nous des croyances sur nous-mêmes et sur le monde. Certaines, souvent implicites, peuvent agir comme de véritables "murs invisibles", des "manières de penser qui entravent la pensée et la contiennent dans des bornes étroites créées de manière artificielle". Ce sont ces fameuses croyances limitantes. Elles orientent nos décisions et nos comportements, fréquemment sans que nous en ayons une claire conscience.

Prenons un exemple : la croyance "Je dois toujours faire plaisir aux autres pour être accepté(e)."

Initialement, celui ou celle qui vit sous l'emprise de cette croyance peut percevoir la difficulté d'être soi comme venant d'une pression externe. Pourtant, en pratique philosophique, on découvre souvent que l'obstacle le plus significatif est interne : c'est la croyance elle-même qui "arrête la tendance" naturelle du sujet à s'affirmer ou à explorer d'autres manières d'être en relation.


La pratique philosophique à l'œuvre : révéler et problématiser.


Comment la pratique philosophique s'y prend-elle pour débusquer et mettre en lumière une telle croyance ? Elle utilise principalement le questionnement problématisant et la conceptualisation. Face à la personne convaincue qu'elle "doit toujours faire plaisir", le dialogue philosophique pourrait s'engager avec des questions telles que : 

"Vous souhaitez être accepté(e) en tant que quoi, ou qui, précisément ?" (Pour interroger la nature de l'acceptation recherchée)

"Faire plaisir aux autres, est-ce systématiquement leur rendre service, ou même vous rendre service à vous-même ?" (Pour questionner les conséquences et la validité de l'action)

"Quelle est l'origine de cette règle, de ce 'diktat' que vous semblez suivre ?" (Pour remonter à l'origine de la croyance)

Ce type de "questionnement articulé" a pour but de faire vaciller l'évidence apparente de la croyance. Elle n'est plus un postulat intouchable, mais devient un problème à examiner. La "tendance" à plaire est interrompue, forcée de "s'arrêter" pour être examinée.

Ensuite, la conceptualisation joue un rôle clé. À travers le dialogue, on pourrait identifier des concepts sous-jacents à cette croyance, tels que la "soumission" ou même, de manière plus surprenante pour la personne, une forme d'"égocentrisme" (la peur du rejet étant un intense souci de soi avant tout). Nommer ainsi la dynamique permet une mise à distance, une objectivation nécessaire à l'analyse.


Le "contrecoup" : vers une conscience de soi renouvelée.


C'est cette confrontation à sa propre croyance, mise à nu et questionnée, qui peut provoquer le "contrecoup" décrit plus haut. La personne, en examinant cet "obstacle" qu'est sa propre croyance, devient "objet d'étude pour elle-même".

Cette révélation peut être déstabilisante. Réaliser, par exemple, qu'une attitude perçue comme altruiste masquait une peur profonde ou un besoin égocentré de validation, affecte la perception de son "je suis". Face à cela, en tant que philosophe praticien, mon rôle n'est pas de "gérer" l'émotion ou la résistance qui peut surgir, mais de l'observer avec la personne, de l'inviter à réfléchir à cette émotion, à cette résistance. La décision de changer ou de rester comme elle est, lui appartient. Parfois, le coût du changement est jugé trop élevé, et la personne choisit de maintenir son fonctionnement, mais, idéalement, en pleine conscience.

Au début d'un tel travail, si l'émotivité est forte, une certaine forme d'ascétisme face à ses propres réactions peut être un passage. L'éthique fondamentale de notre dialogue repose sur une commune soumission à la raison (une forme de joyeuse servitude car la raison libère) et une recherche partagée de la vérité.

Cette prise de conscience est le pivot. Le "je suis" qui était défini et limité par la croyance commence à entrevoir d'autres possibles pour lui-même.


Ouvrir le champ des possibles : "je peux" autrement.


L'objectif de la pratique philosophique n'est pas tant d'"éradiquer" la croyance limitante, mais d'en faire une "croyance conditionnée", de la "mettre en perspective avec d'autres options ou hypothèses." Comment ?


  • En explorant les alternatives : Est-il possible d'être accepté(e) sans toujours faire plaisir ? Quelles seraient les conséquences de s'affirmer davantage sans se soucier d'autrui ? Il ne s'agit pas d'opposer un "jamais" au "toujours", mais d'introduire la nuance du choix.

  • En mobilisant l'imagination : Que se passerait-il si l'on agissait sans cette croyance ? Comment une personne ayant d'autres principes directeurs aborderait-elle la situation ?

  • En se confrontant à d'autres cadres de pensée fondamentaux, d'autres paradigmes (et la tradition philosophique nous aide beaucoup pour cela) ce qui relativise le caractère prétendument absolu de la croyance initiale.

  • En identifiant des aspirations plus profondes : En demandant à la personne ce qu'elle "aime faire dans la vie en dehors de [la dynamique induite par sa croyance]", on l'aide à se reconnecter à des sources de motivation intrinsèques.


Ces démarches élargissent le champ du "je peux". La personne n'est plus enfermée dans un schéma unique. L'envie de poursuivre la réflexion et de mettre en application ce qu'on a découvert est souvent le signe que cette libération est enclenchée. Mon rôle peut alors être d'encourager à la mise en pratique de nouveaux comportements pour tester la croyance, tout en maintenant l'accent sur la pensée et la compréhension qui sous-tendent cette expérimentation. Cela s'apparente parfois à ce que font les comportementalistes en donnant des exercices, mais l'accent en pratique philosophique demeure résolument sur la pensée.


Un exemple concret : oser être soi.


Prenons le cas d'une personne qui n'osait pas entreprendre un long voyage désiré, de peur d'attrister ses enfants. Sa croyance ("Je ne dois pas privilégier mes désirs si cela risque de peiner ma famille") agissait comme un frein puissant. Un travail philosophique pourrait l'amener à questionner la nature du "bonheur" de ses enfants, sa propre responsabilité dans leur capacité à gérer l'absence, l'importance qu'elle accorde à son propre épanouissement. En mettant cette croyance en perspective (par exemple : "Mon épanouissement peut aussi être une source d'inspiration pour mes enfants, et leur apprendre la valeur de suivre ses propres aspirations"), elle pourrait s'autoriser à redéfinir son "je suis" ("je suis une personne qui s'autorise à vivre ses aspirations et qui fait confiance à la capacité d'adaptation de sa famille") et à actualiser un nouveau "je peux" (celui de voyager). La décision de partir devient alors la manifestation concrète de cette libération intérieure.



La pratique philosophique, un chemin vers l'autonomie de la pensée.


La pratique philosophique, en nous invitant à examiner nos "murs invisibles", ne cherche pas à imposer une nouvelle façon de penser. Elle vise à rendre à chacun sa capacité de jugement, sa liberté face à ses propres constructions mentales. En transformant les obstacles de la pensée en objets de conscience, elle permet à la "tendance" vitale qui nous anime de se redéployer de manière plus éclairée et plus choisie. C'est une invitation à considérer nos croyances non comme des destins, mais comme des hypothèses à interroger, pour un "je suis" plus authentique et un "je peux" aux horizons élargis.

Comments

Rated 0 out of 5 stars.
No ratings yet

Add a rating

Derniers articles

bottom of page