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Avons-nous besoin de tout expliquer ?



Evidemment non répondrions-nous spontanément : je n'ai pas besoin d'expliquer comment marche cette plaisanterie puisque je vois qu'elle fonctionne. Le rire sincère indique que ma plaisanterie fonctionne : c'est justement en l'expliquant qu'elle ne serait plus drôle, qu'elle raterait son effet. En matière d'humour donc expliquer est justement ce qu'il ne faut pas faire sous peine d'enlever le plaisir la surprise qui génère le rire. On peut néanmoins ressentir le besoin d'expliquer malgré tout car certaines plaisanteries sont très subtiles, à double-tiroir : peut-être le destinataire a-t-il mal compris la plaisanterie et ne rit-il pas de ce qu'il faut rire ?, peut-être le rire est-il le fruit d'un malentendu ? A ne pas expliquer on prend toujours le risque du quiproquo.

 

Un amour qui pourrait s'expliquer serait-il encore de l'amour ?

Ainsi dans la vie il arrive qu'en ne prenant pas la peine de bien expliquer, à défaut de tout expliquer, nous ne nous entendions pas, nous agissions selon un malentendu. C'est ce qui fait le sel des pièces comiques de Molière par exemple. En amour comme en humour, l'explication est souvent inutile voire impossible ou même contre-nature. Le mystère, l'inconnu, l'ambiguïté font partie de la séduction, préalable à la relation amoureuse dans son acception romantique. L'amoureux ne dit pas son amour et se l'explique encore moins, il n'a par conséquent pas besoin de l'expliquer, seulement de l'exprimer et de le faire ressentir à son tour à la personne aimée.

L'amoureux cherche la réciprocité, le partage, la fusion et pas l'explication ni la compréhension. Nous n'éprouvons pas le besoin d'expliquer notre amour car son obscurité, son opacité et son mystère, son charme en sont consubstantiels. Un amour qui pourrait s'expliquer serait-il encore de l'amour ?


De manière générale nous n'éprouvons pas le besoin d'expliquer nos goûts, nos attirances, nos préférences : puis-je expliquer pourquoi j'aime nager ? Probablement oui mais je n'en éprouve pas le besoin, pas plus que je n'éprouve le besoin d'expliquer pourquoi telle chanson me transporte de joie.


L'être humain a besoin de se socialiser, de communiquer et par conséquent de comprendre et d'expliquer le sens des choses à lui-même et à autrui. Mais d'une part même dans la communication tout n'est pas explicable, à commencer par le phénomène de la compréhension : que veut dire comprendre ?

D’autre pas notre besoin est que la communication fonctionne, que le sens opère, que l'action que nous avons en vue s'effectue. Peu nous importe si nous ne comprenons pas comment l'autre a compris ni s'il a tout compris, peu importe si nous ne savons pas comment fonctionne une télévision : l'important est que nous puissions regarder notre série préférée.


Celui qui ressent le besoin de tout expliquer, de tout déchiffrer, se rendrait malade et ne pourrait plus agir. C'est un peu le philosophe caricaturé, qui, en devisant sur la destinée des étoiles, oublie de regarder où il met les pieds et tombe dans un trou. Le besoin de tout expliquer est la maladie du scientifique ou du philosophe : et encore le premier se spécialise-t-il car il ne peut tout expliquer quand le second se contente de penser à défaut de pouvoir expliquer. Ce que l'on ne peut pas expliquer on peut du moins le penser, le questionner.


Quand quelqu'un veut tout expliquer on le soupçonne souvent de trop expliquer : c'est aussi une marque de confiance en autrui que de ne pas expliquer, ou de lui expliquer au minimum, et de parier sur sa propre interprétation pour donner du sens à tel phénomène ou telle parole. Celui qui veut tout expliquer manque de confiance en autrui pour produire du sens, il est par ailleurs susceptible de vouloir imposer sa propre interprétation : il fait le professeur, le docte et prétendant tout expliquer c'est surtout sa prétention et son égocentrisme qu'il donne à voir. Peu enclin à faire confiance à autrui pour combler le mystère il préfère se rassurer avec son propre savoir, souvent hérité des figures d’autorité.


Celui qui veut tout expliquer est avide de clarté et court à l'épuisement : veut-il expliquer la folie, la guerre, le bâillement, la conscience, Dieu et le néant, la bêtise et le génie, l'art et la spiritualité ? Nous n'avons pas besoin de tout expliquer mais de comprendre le sens de nos actions, et c’est déjà quelque chose.

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