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Ils veulent être bluffés




Grandiose 

"Ils aspirent au grandiose, au miraculeux, au profond, au paradoxal. Ils veulent être impressionnés. Magie de la parole. Promesse d’absolu. La poussière du monde les indispose. (O. Brenifier)


 Le phénomène des conférences TED m'a toujours laissé dubitatif : certes on y apprend des choses fort intéressantes, notamment dans le domaine de la technologie ou des sciences, dans la mesure où des spécialistes vulgarisent leurs travaux et les mettent en valeur. Cependant je ne peux m'empêcher d'avoir une impression de superficialité, de faux, dans ces présentations hyper-léchées que les candidats ont maintes fois répétées comme s'ils jouaient Hamlet au Stade de France.


Cette volonté d'impressionner, de faire le show à l'américaine me laisse toujours un goût de farine dans la bouche, j'allais dire de poussière. Cela correspond à l'air du temps : nous sommes tellement sollicités de toutes parts qu'il faut en faire des tonnes pour attirer l'attention du public blasé. Il faut qu'il fasse "waouh !". Il faut que la connaissance soit scénarisée, dans ce qu'on appelle le story telling, afin que les spectateurs soient captivés par l'histoire, qu'ils voient une intrigue avec des personnages qui traversent des épreuves et peut-être en sortent "grandis".

Les gens veulent être "grandis" signe qu'ils se sentent un peu à l'étroit, un peu rabougris, un peu prisonniers, qu'ils s'ennuient un peu, qu'ils sont petits. Ils veulent voir des combats homériques, veulent se battre pour des causes élevées comme "sauver la planète", "gagner la bataille du réchauffement climatique", "redonner du sens au travail". Ils veulent que l'animateur les fasse rêver, les dynamise, les enchante comme ce Tony Robbins qui rentre en transe sur scène alors qu'il harangue le public à coups de banalités de développement personnel et de sagesse bon marché.


Les gens veulent une expérience unique, une communion, ils veulent se relier les uns aux autres dans une même émotion, comme dans toute religion, ils veulent du lien car ils sont seuls. Parce qu'ils entendent une chose qui leur paraît profonde alors qu'elle est juste vraie tout en étant assez banale, ils s'imaginent même qu'ils sont impressionnés, ils montent en épingle leur propre acquiescement, leur adhésion, en une admiration, voire une fascination.


Ils veulent du paradoxe car le paradoxe est mystérieux et inexplicable, ils veulent du miraculeux parce qu'ils s'imaginent qu'ils pourront accéder à un absolu, parce que cela signifie qu'il y a autre chose à voir que ce qu'ils voient chaque jour, que le monde est habité par le merveilleux et qu’ils y auront peut-être droit un jour, eux aussi. Bref ils imaginent que la réalité n’est pas ce qu’elle est. Logique : la réalité est trop pauvre, poussiéreuse, sale, confuse et surtout si banale et quotidienne.

Or la parole fait advenir le sens et crée un monde, le Verbe se fait chair comme dans la Bible.

Le problème dans tout cela est qu'ils sont passifs, ils sont dans l'expectative, ils attendent des lendemains qui chantent ou sont prêts à remettre leur âme dans les mains des promesses de la technologie, comme ces transhumanistes qui aimeraient que l'homme vive éternellement, ou au moins plusieurs centaines d'années pour commencer.

Ils ne détestent rien tant que la simplicité, la banalité, la quotidienneté. Pour eux il doit y avoir une énigme à déchiffrer et qui devrait aboutir à dévoiler le monde, à voir ce qui sous-tend les apparences, que cela soit au-dessus ou en-dessous. Le problème est qu'ils ne voient pas que c'est à eux d'enchanter la réalité par leur approfondissement, leur réflexion, leur observation, c'est à eux de se faire poètes pour dire le monde tel qu'il est et en partager l'expérience avec autrui. Ils mettent une pression énorme sur la parole d'autrui : s'il ne les transporte pas, ne les inspire pas, ne les impressionne pas, alors il sera ennuyeux, inintéressant et on l'évitera. Ainsi se désintéressent-ils d'autrui quand celui-ci ne leur apporte rien.


Cependant pour voir le profond et le paradoxal il ne faut point le vouloir car le vouloir se met en travers de la route du voir, lui fait prendre des vessies pour des lanternes et il rate les miracles sous la poussière. Qu'il existe de la pensée par exemple n'est-ce pas miraculeux ? Comment cette extraordinaire faculté est-elle apparue à l'homme ?


"tu es poussière et tu retourneras dans la poussière" donc nous ne devrions pas dénigrer notre origine ni notre destination finale.

Je conçois qu'il ne soit pas très excitant d'aller regarder la poussière, ces petites particules en suspension dans l’air qui finissent par tout recouvrir. C'est tellement banal, tellement quotidien. Pourtant nous dit la Génèse "tu es poussière et tu retourneras dans la poussière" donc nous ne devrions pas dénigrer notre origine ni notre destination finale.

La poussière c'est sale, cela s'immisce partout, se niche dans tous les interstices, cela nous gêne pour respirer, provoque même des allergies pour les organismes particulièrement sensibles. Il y a tout un monde dans la poussière. Et tout notre monde n’est même fait que de poussière d’étoiles comme l’avait joliment dit Carl Sagan « l'azote dans notre ADN, le calcium de nos dents, le fer dans le sang, le carbone dans nos tartes aux pommes ont été faits à l'intérieur d'étoiles qui se sont effondrées. Nous sommes faits de poussières d'étoiles ». Voilà qui pourra peut-être nous faire regarder autrement la poussière.


La poussière recouvre tout, les choses deviennent indistinctes et mortes sous la poussière. Il faut souffler délicatement dessus afin qu'elles retrouvent une nouvelle vie, comme lorsqu'on sort les jouets d'enfance oubliés dans un carton au grenier de la maison de campagne. On enlève la poussière et un monde depuis longtemps disparu se reforme sous nos yeux comme par magie. Sous la poussière il y a aussi la vie. La poussière est insaisissable, elle glisse entre les doigts comme l'eau  : mais de cette dernière elle n'a pas la pureté, la transparence, la noblesse. L'eau c'est la vie mais la poussière représente plutôt la mort. Celle qui est si proche de nous et que nous nous donnons tellement de mal pour éviter du regard.

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