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Pourquoi aimons-nous une personne ?




L'amour comme consolation à deux niveaux

Voici une redoutable question pour un philosophe puisque l'amour est par définition un objet assez flou car il existe plusieurs formes d'amour et qui plus est ce concept contient beaucoup d'irrationnel.


Essayons malgré tout de dégager quelques tendances pour débroussailler le sujet.

Pour cela je partirai d'un présupposé assez fort : l'être humain souffre de manière existentielle d'un décalage entre un désir infini (ou d'infini, de transcendance, d'absolu) et la conscience qu'il est lui-même limité par sa nature humaine, biologiquement, intellectuellement, affectivement.

Pour se consoler de cette souffrance ontologique ou existentielle il a trouvé un merveilleux et puissant subterfuge, l'amour. On ne saurait décider pour l'instant si c'est une ruse intellectuelle ou physique, peut-être les deux à la fois.


L’amoureux va donc chercher à se consoler en aimant quelqu'un et si possible en se faisant aimer de lui en retour, ce qui n'est, malheureusement pas garanti. D'emblée l'amour surgit comme un pari, comme une prise de risques, accompagné comme dans tout pari d'espoirs qui seront déçus ou comblés.

Voilà pour la question de savoir pourquoi nous aimons, c’est une activité de consolation de l’âme assez puissante bien qu’elle entre en concurrence avec d’autres consolations comme la religion, le pouvoir, la philosophie, le plaisir...


La question maintenant de savoir pourquoi nous aimons telle personne et pas une autre a-t-elle une réponse ? Aimons-nous autrui parce qu'il nous est familier, proche, ressemblant ou au contraire parce qu'il nous intrigue voire nous fascine par sa différence, son étrangeté, son mystère ?


Ici nous voyons bien deux visions du monde bien distinctes :


La première hypothèse est celui qui cherche du même, du connu. Or le connu, c’est bien connu, rassure parce qu’il permet la reconnaissance. Je reconnais autrui parce que je me reconnais en lui et vice-versa d’ailleurs. Si je reconnais quelque chose que j’aime en moi alors j’aimerai cette même chose en autrui. Ce qui montre que l’amour d’autrui part toujours de soi. Or celui qui souhaite être rassuré ne l'est pas. Nous l'appellerons donc l'"inquiet".

La seconde hypothèse est celle de celui qui est attiré par le nouveau, le différent, l'étrange et l'ailleurs. Celui qui ne se satisfait pas du connu s'ennuie avec le connu, il en a fini avec lui. Appelons-le donc l'"ennuyé".

Ainsi chacun, de son point de vue, cherche à résoudre son problème existentiel par l'amour : en se rassurant par le connu ou en se divertissant par l'inconnu.

Il y a donc un premier niveau de malaise ontologique qui pousse à l’amour et un deuxième niveau de malaise existentiel qui pousse à aimer un autrui.

 

Le jeu pour sortir de l'impasse

L'inquiet qui trouve l'amour sera donc rassuré, il aura satisfait son désir de sécurité. Cependant, une fois satisfait, il commencera lui aussi à s'ennuyer, malgré son appétence pour la sécurité, la stabilité et la permanence. Il voit rapidement que toute sécurité est illusoire et temporaire et bientôt il commence aussi à s'ennuyer, tombant ainsi dans le second schéma.

Pour sortir de son ennui sans toutefois renoncer à la sécurité (on ne change pas sa nature première), il lui faudra trouver de nouvelles sources d’intérêt avec l’être aimé, comme de découvrir de nouvelles facette de sa personnalité en faisant des expériences différentes, en se lançant des défis, des épreuves. Faire des enfants en est une, d’autant plus que les enfants permettent d’assurer symboliquement la pérennité de notre personne puisque nous vivrons un peu à travers eux après notre mort.

De l’autre côté, l'ennuyé qui trouve l'amour satisfait aussi son désir de nouveauté. S'il a de la chance il trouvera un alter ego qui lui réservera suffisamment de surprises pour nourrir sa soif permanente de nouveauté. Sinon il s'ennuiera rapidement et se mettra à nouveau en recherche de nouveauté en changeant d'amour. Mais en répétant ce schéma il finira par faire de l'instabilité affective une manière de vivre, qui finira par l'inquiéter comme étant une recherche sans fin : il verra la vanité, la superficialité et l’absurdité de sa quête "domjuanesque".

Il finira par désirer la réassurance de la stabilité, tombant lui aussi dans le schéma inverse, celui de l'inquiet. Il se stabilisera donc lui aussi avec un seul être aimé. Son défi sera de continuer à nourrir la stabilité sans pour autant renoncer à son appétit de nouveau : il développera par exemple de nouvelles sources de stabilité comme les enfants (décidément ils sont pratiques ces enfants), la réussite sociale, le pouvoir. Il se trouvera de nouvelles consolations pour compenser les faiblesses de la première.


Ainsi peu importe de quelle vision du monde l'amoureux parte, il finira toujours par retomber dans l'inquiétude ou dans l'ennui, voici schématiquement la malédiction de l'amour entre les hommes et les femmes (j'imagine qu'il en est de même pour l'amour homosexuel). Ces deux états ne sont que des étapes dans une dialectique de l'amour qui passe heureusement par des états de félicité, de plénitude et de tranquillité comme d'extase ou de désespoir. Mais cette dialectique finit toujours dans la synthèse entre l’ennui et l’inquiétude à l’intérieur desquels se joue le bonheur en amour.


Proposons une synthèse possible entre l'ennui et l'inquiétude : le jeu.

Dans le jeu je ne m'ennuie pas puisque je m'amuse, je joue, je prends du plaisir à mettre à l'épreuve mon partenaire qui lui aussi trouve ce plaisir à jouer. Par ailleurs je ne m'inquiète pas parce que le jeu n'a pas d'enjeu : il a un début et une fin, c'est un cadre artificiel et librement choisi au sein duquel chacun joue un ou plusieurs rôles. Mais me direz-vous à quoi peut-on bien jouer avec son amoureux ? Et bien on peut jouer justement à un jeu de rôles : l’ennuyé(e) rassure l’inquiet et l’inquièt lance un défi à l’ennuyé.

Faites vos jeux, rien ne va plus !

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