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Besoin de transcendance : Dieu



Dieu est probablement le plus populaire des transcendants. C'est à la fois un principe d'explication du monde, un idéal régulateur qui guide nos conduites en ce qu'il a des commandements, un objet d'adoration et de croyance qui permet de mieux supporter les vicissitudes de l'existence, un objet de réflexion et de débats entre les théologiens. Dieu, sous ses différentes formes, est un transcendant qui est bien identifié, codifié, dont la relation avec les hommes est soumise à un dogme et des rites (la liturgie). C'est aussi le Dieu intime, toujours présent à la conscience du croyant et qui voit tout ce que le croyant pense, ressent et fait. Dieu c'est une conscience totale qui s'instancie dans les consciences individuelles et régule les questions existentielles du croyant ainsi qu'elle le console de ses peines, lui donne du courage pour l'avenir. Bref, Dieu est le guide ultime pour l'existence du croyant. Il se décline lui-même en concepts qui sont aussi des transcendants comme la charité, l’amour, l'humilité, la bonté, la pauvreté, l'égalité, tous concepts que l'on retrouve très présents dans le catéchisme par exemple.

Dieu est sans conteste le plus populaire, le plus ancien et le plus évident transcendant dont l'homme ait eu besoin dans son existence, à telle enseigne que le sentiment du divin, qu'une force supérieure inconnaissable préside aux destinées de l'homme, est probablement aussi vieux que la conscience elle-même.


Avançons plusieurs hypothèses pour expliquer ce besoin de croire en Dieu.


L'être humain est une machine à créer ou trouver du sens et n'a qu'une tolérance très limitée pour l'absurdité, la contingence et le néant.

La première est que l'être humain a besoin d'expliquer ce qu'il ne comprend pas car il le craint, notamment lorsque ce sont des phénomènes naturels puissants et dévastateurs : orages, feu spontanés, tremblements de terre, maladies...Il l'explique alors par des forces divines qui, par anthropomorphisme (ce qui nous renseigne sur l'incroyable égocentrisme des êtres humains) le punissent ou le récompensent en fonction de ses actions. Cela créera également le besoin de rites pour honorer les dieux, pour se préserver de leur colère et s’attirer leurs bonnes faveurs, notamment à travers les offrandes et autres sacrifices animaux ou humains que nous retrouvons quasiment comme invariant anthropologique. L'être humain est en effet une machine à créer ou trouver du sens et n'a qu'une tolérance très limitée pour l'absurdité, la contingence et le néant.

Ce qu'il ne sait pas expliquer c'est notamment et fondamentalement pourquoi il est là, pourquoi il y a quelque chose et pas rien, ce qui serait beaucoup plus pratique et reposant pour tout le monde. Pour répondre à cette question vertigineuse, l'être humain soit produit de lui-même, soit découvre (selon qu’on pense que Dieu existe réellement ou pas, ce qui n’est pas le propos) une entité unique (je ne parlerai que de l'idée d’un dieu unique qui s'est finalement imposée universellement), toute-puissante, créatrice de tous les mondes et de l'être humain, omnisciente et parfaite, qui a l'existence comme nécessité intrinsèque.

Cette entité remplit pleinement le vide de sens, le néant d'explication quant à la raison de son existence (qui plus est existence si pénible et courte) et peut ainsi servir d'interlocuteur individuel et collectif dans tous les dialogues avec des questions sans réponse. Bien entendu, quand l'homme parle à Dieu, il se parle aussi à lui-même. C'est pour cela que Dieu a créé l'homme à son image, pour que ce dernier se voit en Dieu comme dans un miroir. Et en se parlant à lui-même il prend conscience d'une altérité qui le scinde en deux, chose assez curieuse qu'il nommera bientôt : penser. Chose aussi probablement miraculeuse, ce qui pourrait finalement expliquer le complexe de supériorité de l’être humain par rapport aux autres créatures.

Quelle étrange idée que cette finitude qui vient percuter ses désirs et sa pensée imaginative capable d'embrasser l'univers d'une seule intuition !

La deuxième hypothèse est que l'être humain, partout où il regarde (et il a de bons yeux et la stature verticale qui lui permettent de voir loin) ne voit que mort, finitude et impuissance. Il est faible au regard des animaux sauvages qui ont des griffes pour attaquer, de la fourrure pour avoir chaud, quatre pattes pour courir vite ou des ailes pour voler. Physiquement, de nombreuses choses lui sont impossibles, ce qui l'oblige à se servir de son esprit inventif pour développer des outils (ce qui d'ailleurs lui sera reproché par Zeus lors l'épisode de Prométhée) qui compensent cette faiblesse physique. Surtout, il s'aperçoit qu'il a des désirs incommensurables avec ses désirs, notamment celui de continuer à vivre qui est scandaleusement limité par cette mort naturelle qui survient pour de multiples raisons et à n'importe quel âge. Quelle étrange idée que cette finitude qui vient percuter ses désirs et sa pensée imaginative capable d'embrasser l'univers d'une seule intuition ! Il lui faut absolument trouver quelque chose qui permane, qui perdure au-delà de cette ridicule mortalité : à quoi bons tous ces efforts si c'est pour partir dans la fleur de l’âge ? Il y a nécessairement quelque chose qui survit après cette mort absurde, et qui devait être déjà là avant cette naissance non moins absurde. Un Dieu immortel qui accueille ses disciples dans un univers parallèle de félicité, éternel lui aussi, serait une idée qui le soulagerait de ses nombreuses déceptions et le consolerait du navrant constat de son néant vertigineux (un « rien » suspendu entre deux infinis, dirait Pascal).

Car l’homme développe de l'attachement, des sentiments pour ses semblables et il se désole de les voir retourner au néant, surtout qu'il comprend (sans vraiment l’admettre) qu'il sera bientôt le prochain sur la liste. Quel bonheur de savoir qu'on pourra retrouver ses proches dans l'au-delà, dans cet univers céleste qu'on appelle Paradis ou Enfer (chez les Grecs il n'y avait que les Enfers, l'Hadès le royaume des morts, mais qui n'étaient pas si infernaux que cela). Voilà réglé le problème de l'insupportable finitude : nous sommes finis sur cette Terre, mais l'aventure continue ailleurs. C'est d'ailleurs pour cela qu'il faut s’occuper de nos morts sinon ils risqueraient de nous en vouloir dans l'au-delà.


Troisième hypothèse, pour une raison que j'ignore, l'être humain se trouve formidable, intelligent, surdoué même, largement supérieur à tous ces animaux qui ne vivent que d'instinct et de moment présent. Il se dit que ce serait quand même un incroyable hasard et un énorme gâchis si une entité supérieure ne nous avait pas créé dans un but bien précis, que nous ignorons pour l'instant, mais qui nous sera révélé un jour. Il poussera d'ailleurs le narcissisme jusqu'à prétendre que Dieu l'a créé à son image ce qui signifie qu'il peut même retrouver Dieu en lui et que Dieu voit tout ce qu'il voit et sait tout ce qu'il pense et ressent. Ainsi l'homme n'est jamais seul, où qu'il aille. Même quand il est seul, exclu par les autres, malade, mal-aimé, sur le point de mourir ou en proie à d'insupportables souffrances, Dieu veille sur lui, à condition qu'il y croie, le respecte et le craint (il faut bien une contrepartie tout de même). Ainsi l'homme se voit spécial et veut que quelque chose fasse écho dans l'au-delà à cette singularité prétendue. Accordons-lui qu'il est vraiment spécial avec sa conscience d'exister ainsi que sa faculté d'abstraire et de calculer. Il saura par ses facultés se rendre d'ailleurs « comme maitre et possesseur de la nature ». Au fur et à mesure qu'il maitrise et comprend les phénomènes naturels, il renvoie Dieu à un rôle de plus en plus intime.




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