top of page

De quoi faut-il faire son deuil ?



Faire son deuil signifie renoncer à ce que nous apportait la présence d'un être : son affection, ses idées, son comportement...son être. L'être n'est plus. L'être n'est plus sur le mode où il nous apparaissait : présent, vivant, conscient. Nous le reconnaissions et il nous reconnaissait, nous existions ensemble, nous nous comprenions, nous nous disputions, nous faisions des activités ensemble, nous discutions, nous dialoguions, nous riions, nous pleurions, nous nous appelions, nous réconfortions, parlions des autres et de nous-mêmes, nous confiions l'un à l'autre. 

Perdre un être cher c'est perdre la singularité d'une expérience : celle d'être en compagnie d'un autre qui avait son monde et nous y faisait rentrer, celle d'un monde qui était aussi devenu le nôtre. Perdre un être cher c'est perdre une partie de son monde, c'est appauvrir son monde, le restreindre, c'est exister en sachant que notre monde gardera désormais une place vide.

Faire son deuil c'est atténuer le sentiment du manque cruel qui nous étreint lorsque nous nous surprenons à vouloir lui parler, à le voir ou à l'entendre et que nous n'entendons que le silence en réponse à notre appel. L’absence de l’être cher a creusé notre monde d’un néant qui nous attire, d’un vide qui semble nous aspirer et nous détourner des autres êtres. “Un être vous manque et le monde est dépeuplé”, disait le poète.

Faire son deuil c'est d'abord accepter le silence et n'y voir que notre écho, c'est voir le vide et nous y mirer en retour. C'est ensuite, peu à peu, repeupler ce vide par le dialogue que nous reprendrons avec la voix disparue, en imaginant ce qu'elle aurait dit ou pensé de telle ou telle chose : l'être cher continue à vivre à travers nous, son esprit vit à travers le dialogue que nous continuons à entretenir avec lui.

Ce dont il faut faire le deuil, c'est de soi-même puisque l'être cher était un alter-ego

L'esprit du disparu nous accompagne et nous sentons toujours sa présence quoique sur un mode absent, purement spirituel. Ce dont il faut faire le deuil c'est de la présence physique, de la chaleur d'une voix, d'un regard qui vous pénétrait et vous comprenait en même temps. Ce dont il faut faire le deuil, c'est de soi-même puisque l'être cher était un alter-ego, nous pensions à travers lui et nous voyions en son miroir. Il faut accepter qu'une partie de nous-même meure avec chaque être cher et que cette mort est nécessaire à l’apprentissage de “devenir ce que nous sommes”, selon le mot de Pindare. C'est seulement en mourant à nous-même que nous pouvons nous apercevoir de l'extérieur comme un autre, que nous pouvons objectiver cet être que nous étions.

La mort de l'être cher nous rend soudain l'environnement étrange : ce qui nous était familier nous semble désormais étranger, distant, comme si nous redécouvriions à nouveau le monde mais sous un jour amer. Désormais les objets ne nous renvoient plus à l'être cher mais ils ne renvoient qu'à eux-mêmes. Il nous faut réapprendre à apprivoiser le monde recentré autour de cette absence. Peu à peu l'absence finira par perdre de sa vigueur, elle nous rappellera moins cruellement à ce que nous avons perdu et nous montrera ce que nous avons gagné.

98 vues

Comments

Rated 0 out of 5 stars.
No ratings yet

Add a rating

Derniers articles

bottom of page