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Le coaching, reflet d'une société désenchantée



New Age

“Libérer le potentiel humain”, “découvrir les potentialités qui sommeillent en nous”, “détruire les pensées auto-limitantes" pour atteindre notre potentiel accompli, trouver notre “moi profond” ou “authentique”.

Cette idée que nous ne serions qu'un champ en friche attendant d'être semés et labourés afin de donner les meilleurs fruits, à condition qu'on éradique les mauvaises herbes, cette idée est semble-t-il à la base du New Age et de ses avatars modernes et en particulier le mouvement du coaching depuis les années 60 aux U.S. et plus tardivement dans les années 90 en France.

Cette idée part d'une vision de l'homme comme un être foncièrement bon et illimité, qui n'aurait qu'à pratiquer un travail de déprogrammation-reprogrammation pour actualiser toutes ses potentialités laissées en jachère. Cette vision morale est assez proche de celle de Socrate : l'être humain est fondamentalement bon, il cherche toujours à faire le bien mais il fait le mal par ignorance. A partir du moment où la conscience est opérante, où l'âme voit, elle fait naturellement le bien et cesse ses agissements malveillants. "Nul n'est méchant en connaissance de cause". Socrate y puisait donc sa mission consistant à éduquer les âmes en les faisant accoucher de vérités sur elles-mêmes par un travail de questionnement déstabilisant qui passait souvent par une humiliation publique, lorsque les sachants de l’époque finissaient par avouer tout penauds que leur prétendue connaissance reposait sur du sable.

Les coachs modernes héritiers du mouvement New Age californien des années soixante n'entendent pas, eux, éduquer les âmes ignorantes par le questionnement et un travail sur l'existence mais plutôt résoudre un problème ponctuel et relativement précis avec leur client en passant un contrat d'objectif : développer son assertivité, réussir une prise de poste, améliorer le bien-être de son équipe, faire des présentations en public etc….

On voit qu'on y a perdu en termes d'ambitions sur les changements existentiels opérés : on perd le côté structurel, systémique et existentiel au profit d’une solution ponctuelle et conjoncturelle. On passe d’une transformation existentielle à un contrat avec ses obligations.

Là où les gourous du New Age (dont Abraham Maslow avec sa fameuse “pyramide des besoins” dont le marketing s’est rapidement inspiré) voulaient développer le potentiel humain (sans préjuger du bien-fondé ou pas de cette vision de l’homme), les coachs modernes ne veulent pas empiéter sur les platebandes des psychothérapeutes et ne prétendent pas toucher à "la structure de la psyché". (Encore faudrait-il savoir ce que recouvre cette appellation de “psyché” quelque peu nébuleuse).

Ils réduisent donc leur intervention à la portion congrue d'un projet personnel en relation avec un projet professionnel, en général dans le cadre d'un contrat de subordination du coaché à une entreprise payeur de la prestation. On comprend d'ailleurs cette frilosité face à un travail plus profond : l'entreprise ne peut en effet prétendre intervenir sur la vie privée de son salarié, sur la structure même de son existence. Elle n'en a pas le mandat et ne voudrait surtout pas en prendre la responsabilité : on a tendance à lui en “coller suffisamment sur le dos” avec les risques psycho-sociaux.


Utilitarisme et flou artistique

Le coach devient dès lors suspect de s'aligner plus sur le projet de l'entreprise que sur la cohérence existentielle de son “coaché”. Le coach est partenaire de l'entreprise pour faire en sorte que la mission de celle-ci soit alignée avec le comportement attendu du salarié qui doit "s'adapter" à ce que lui demande l'entreprise en intériorisant les attentes de celles-ci afin de les faire siennes (et d’être évidemment complètement dévoué à son entreprise). Le salarié n'a d'ailleurs peut-être même pas conscience de cette servitude volontaire : pour lui, il est naturel qu'il doive s'adapter aux injonctions implicites ou explicites de son employeur. Il s'agit certes de toujours libérer un potentiel mais dans la mesure où ce potentiel sert les visées de l'entreprise qui l'emploie.

On voit qu’on assiste donc à un glissement d’un projet humaniste utopiste rousseauiste (car croire que l'être humain est bon a priori est une idée ancienne et débattue dans l’histoire des idées, entre Rousseau et Hobbes notamment qui s’opposent sur ce terrain) à un projet utilitariste et circonstanciel. Le coaching n’est que le reflet d’une société qui a perdu tout idéal et a cantonné ses utopies à la sphère individuelle, chacun essayant de mener son existence personnelle comme on mène un projet dans une entreprise.

Quand le coach accompagne un individu afin de lui faire “passer un cap” difficile, de l'aider à résoudre un problème qui l'empêche de réaliser un de ses objectifs, il l'aide à prendre conscience des comportements et “pensées limitantes" (les bouddhistes auraient parlé de “pensées négatives” liées à l’ego) et par le questionnement identifie avec lui quels nouvelles actions ou comportements il pourrait mettre en œuvre, avec des objectifs mesurables, afin d'atteindre ses objectifs de niveau plus élevé.

Dans ce sens, on se rapproche du terme anglo-saxon du coach sportif qui accompagne un athlète pour atteindre un certain niveau de performance par un entraînement quotidien. La différence est que le coach sportif maîtrise les techniques d'entraînement (et c’est la plupart du temps un ancien sportif de haut niveau) qui vont amener le sportif à un niveau supérieur car la performance se situe dans un domaine très restreint : etre le plus rapide, marquer le plus de points face à ses adversaires, atteindre la perfection technique, sauter le plus haut ou le plus loin...

Il sait exactement comment “libérer le potentiel de son athlète” : par un travail acharné au jour le jour autant axé sur la technique que sur la capacité physique et mentale. Évidemment il peut avoir un athlète qui fait de belles performances à l'entraînement mais perd ses moyens le jour de l’épreuve et gâche d’une certaine manière son potentiel. C’est d’ailleurs là où les athlètes se font aussi aider par un “coach mental”.

Mais un entraîneur doit aussi très rapidement se rendre à l’évidence : tout le monde n'a pas le potentiel pour aller aux J.O. et très rapidement il doit se séparer de certains éléments dont il sait qu'ils n'iront pas au bout pour diverses raisons. Il peut se tromper certes mais par définition l'élite est réservée...à l'élite.

Vous m'objecterez, et à raison, que l'ambition d'un coaché n'est pas d'aller aux J.O. mais simplement de gagner en “compétences relationnelles” pour un nouveau poste par exemple, qu'il ne veut pas faire partie d'une élite mais simplement améliorer telle compétence humaine comme sa capacité à s'affirmer avec les autres. Il y aurait donc moins d'exigences de performance et la demande porterait sur des compétences beaucoup plus larges et plus relationnelles, plus humaines.

On peut être coaché par exemple pour améliorer son ouverture à autrui et justement pas pour entrer en compétition avec lui. Cette diversité et cette hétérogénéité des compétences de “savoir être” qui constitue le périmètre d’intervention des coachs contribue à maintenir la profession de coach dans un flou artistique : ni thérapeute, ni mentor, ni entraîneur, ni professeur, ni confesseur, ni manager, ni maître, ni philosophe, une espèce de patchwork d’un peu tout cela.


Mais alors quelle est l'essence, la spécificité d'un coach ? Sur quelles compétences précises s’appuie le coach pour prétendre aider ses clients à résoudre ses problèmes ou les “développer et les “faire grandir” ?

Possède-t-il sur lui-même un échantillon de ce qu’il prétend vendre ou bien pourrait-on dire de lui comme Coluche le disait des hommes politiques “le mec te vend de l’intelligence mais il n’a pas un échantillon sur lui !” ?

Je laisserai ici la parole aux coachs professionnels pour m’éclairer sur ce point.


Pratique philosophique

Comme on compare souvent le travail que je propose à celui d’un coach, j’en profite ici pour tenter de distinguer notre pratique de celle des coachs.

En ce qui concerne la “pratique philosophique” ou ce que j’appelle la “Pensée Critique Active” ou même encore la "Consultation Philosophique Socratique", elle consiste moins à “libérer un potentiel” qu’à travailler des compétences de la pensée et des attitudes.

La pensée a en effet tendance à se rigidifier sous la poussée de nombreux facteurs endogènes comme exogènes : l'opinion, la peur, la colère, l'avidité, la distraction, le désir d'être aimé, la paresse intellectuelle. Tous obstacles dont j'ai déjà parlés dans des articles précédents.

Nous travaillerons donc principalement à l’assouplissement et au renforcement de la pensée, à l'instar de ce qui se fait pour le corps. Comme la pensée n'est par ailleurs pas séparable de l'être et donc des attitudes, nous accompagnerons les Sujets ou les “pratiquants” (sans la connotation religieuse du terme) afin qu'ils adoptent ces attitudes propices au déploiement et au développement de la pensée. Il se trouve que le personnage de Socrate incarne particulièrement bien ces compétences, c’est pourquoi nous nommons cette pratique “socratique” en ce qu’elle se fait au cours d’un dialogue qui met à l’épreuve de lui-même le Sujet. Parmi ces attitudes nous trouverons : la confiance, l’authenticité, le courage, la confrontation, l’étonnement, la suspension du jugement et l’empathie cognitive.

Mais ne nous y trompons pas : il ne s'agit pas, simplement en prenant conscience d'une “croyance limitante” à attendre que votre "être" se “débloque” et que la vie vous sourie. Il s'agit d'un travail au jour le jour qui implique des sacrifices, une part de souffrance et d'abnégation, comme tout travail digne de ce nom d’ailleurs.

Il ne faut pas voir le "potentiel de l'être" comme une espèce de force qui n'attend qu’une libération pour jaillir et vous donner les clés du bonheur mais plutôt comme un socle de compétences de base à travailler régulièrement.


Au-delà de cela, le Sujet doit acquérir le goût de la réflexion pour elle-même et pas en la subordonnant à l'atteinte d'un objectif particulier ou pour résoudre un problème existentiel. Certainement, cette pratique pourra résoudre ou au minimum atténuer la souffrance qu'un problème vous cause mais cela ne sera qu'un effet secondaire souhaitable, pas un objectif premier. Par exemple, elle vous détournera de votre obsession pour votre problème particulier pour vous concentrer sur la puissance de votre pensée et sur le plaisir que vous prenez à son exercice.

En ceci, cette pratique n’est pas subordonnée à un objectif utilitariste mais est l’activité par laquelle (entre autres) nous nous donnerons des objectifs (si objectif il devra y avoir), c’est pourquoi par exemple nous ne passons pas de “contrat” avec le Sujet avant de débuter une consultation. C’est ce que Pierre Hadot a pu appeler une “pratique de soi” et non une “pratique du soi”.

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