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Pourquoi nous avons besoin de transcendance ?



Partons d'un postulat : l'être humain a toujours eu besoin de transcendance, consciemment ou inconsciemment. On sait que les premiers homo-sapiens enterraient leurs morts (les premières sépultures sont datées d’il y a 100 000 ans mais il y en a d’autres probablement plus anciennes) ce qui était, avant l'avènement des religions, une manière d'attester la croyance selon laquelle quelque chose subsistait après la mort physique et qui était à marquer par une sépulture.

Il y avait déjà à l'origine des hommes cette idée que la finitude, sous sa forme radicale, la mort, était une forme de scandale et que quelque chose devait rester du corps du défunt, quelque chose qui témoigne qu’il était plus qu’un corps et qui perdurait après la disparition physique.

La pensée magique témoigne de cette volonté d'agir sur le monde à travers ou par le truchement d'un autre monde, celui des esprits, des morts, et de ne pas accepter l'impuissance et la finitude d'un être physiquement peu adapté à la survie en milieu hostile en comparaison des animaux qui constituaient son environnement naturel.

Très tôt l'homme a dû compenser sa faiblesse par une surpuissance dont la pensée magique était la traduction phénoménale. Elle était concrétisée par des rites, des rituels, des incantations, des objets (les totems) censés lui donner une influence sur le cours des événements d’autant plus terrifiants qu’il les subissait sans pouvoir les comprendre. Il lui a fallu donner du sens à des phénomènes naturels qui le dépassaient et il ne pouvait leur donner qu’un sens magique à ses débuts. Que l’on s’imagine l’effet que pouvait produire sur des homo-sapiens habitant dans des cavernes un événement aussi banal que la foudre pendant un fort orage, sans parler d’événements plus catastrophiques comme les tremblements de terre, les raz de marée, les cyclones ou les éruptions volcaniques ?

La transcendance a un effet d'appel, d'aspiration, de moteur du désir, au-delà de la simple volonté de vivre

Encore aujourd’hui pour à peu près les deux tiers de la population mondiale qui croit à un Dieu unique et à une vie après la mort, le besoin de transcendance est avéré et satisfait.

Mais que se passe-t-il pour le tiers restant de l'humanité qui prétend n'être ni croyante, ni déiste, ni croire à quoi que ce soit ayant à voir avec une forme de transcendance ? Nous ferons l'hypothèse qu'ils vivent malgré tout sous le régime d'une forme de transcendance, consciente ou inconsciente.

La transcendance a un effet d'appel, d'aspiration, de moteur du désir, au-delà de la simple volonté de vivre, de l'élan vital ou de l'instinct de survie que l'on voit se manifester lorsque notre intégrité physique ou sociale est menacée. Ce qui nous transcende est ce qui nous dépasse, ce qui se trouve en point de mire, à l'horizon de notre réalité. Il n'est pas besoin de consciemment croire ou vouloir atteindre cet idéal puisqu'il peut aussi agir inconsciemment comme un aimant. Si nous n'avions pas cette représentation, nous ne ferions que survivre et satisfaire nos besoins quotidiens, comme les animaux.

On pourrait avancer que la transcendance co-nait avec la conscience. A partir du moment où l'homme a conscience d'exister et conscience qu'il pense, il se pose la question d'un au-delà, d'un dehors de cette conscience. Et comme la conscience est la limite de son monde il ne peut s'imaginer ce dehors qu'au-delà du monde, au-delà des phénomènes, dans un absolu. La conscience de sa finitude le pousse à vouloir rejoindre cet infini qui le dépasse afin de ne plus souffrir.

La conscience est une forme d'auto-transcendance, dès lors on peut comprendre que nous cherchions des choses qui nous dépassent : ce sont les seules qui sont à même d'être en dialogue avec nous

Nous pourrions aussi bien nommer ce désir une insatisfaction chronique, un manque qui nous pousse implacablement vers sa suppression, vers la disparition du déséquilibre existentiel qu'il crée en nous. Mais ce désir ne peut être qu'asymptotique parce que son objet est infini, il ne sera jamais atteint ce qui permet de faire du mouvement vers la transcendance un mouvement perpétuel.

La conscience est donc une forme d'auto-transcendance, dès lors on peut comprendre que nous cherchions des choses qui nous dépassent : ce sont les seules qui sont à même d'être en dialogue avec nous. En ce sens les autres êtres humains sont toujours des transcendants pour nous, comme l'a bien vu Hegel, ils incarnent une forme d'Altérité radicale.

Le phénomène de la reconnaissance mutuelle de deux consciences implique une lutte pour un dépassement réciproque : chaque conscience veut "dépasser" l'autre dans le sens où elle veut que cette conscience la reconnaisse comme humaine, donc autonome. Mais il lui faut donc s'imposer d'abord à elle puisque l'autre veut faire la même chose, donc il lui faut l'objectiver, la chosifier et donc la tuer en tant qu'autonome, ce que Hegel appelle la "servitude". La première conscience qui cède devient esclave de l'autre qui est le maitre. Le maitre jouit de la reconnaissance mais c'est l'esclave qui travaille, qui sert le maitre et se travaille de l'intérieur. Ce faisant c'est l'esclave qui finit par s'émanciper par son travail et dépasse le maitre qui ne fait que jouir et consommer. Nous alternons donc entre une position de transcendant pour la conscience d’autrui et de transcendé par la conscience d’autrui : autrui n’est en fait pas un transcendant permanent mais il nous permet de voir en miroir notre auto-transcendance.

Que nous cherchions à le fuir, à le comprendre, à l'affronter ou le confronter, autrui constitue toujours une transcendance pour nous mais une transcendance immanente en ce qu'autrui est néanmoins un être mortel et limité sous de nombreux aspects qui n'auront rien d'idéal pour nous. Nous cherchons quelque chose de plus permanent, de plus absolument transcendant. Dans nos prochains articles nous parlerons de ces transcendants qui nous habitent : le Dépassement de Soi, l’Amour, la Vérité, la Raison, Dieu, la Justice

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