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Comparaison est-elle raison ?




La comparaison introduit une faille, une l'altérité dans le discours en pointant vers une réalité autre mais semblable à celle dont il est parlé.

Performatif

La comparaison est, au sens étymologique, l’action d’accoupler (comparatio). Accoupler, à la fois dans le sens d’établir des parallèles et de distinguer. Le fait de comparer des éléments, c’est examiner les relations entre eux, leurs similitudes et leurs différences. La comparaison est une activité de la raison, qui aboutit à une compréhension des idées et de la réalité. Par ailleurs, la comparaison dit ce qui n’est pas. Qu’elle s’applique à un objet, une idée, une chose, un sentiment elle permet de dire l’inexprimable et l’intangible en proposant le détour soit par l’analogie, ou la métaphore, outils que la poésie ou le discours politique utilisent de manière importante, pour leurs qualités rhétoriques et esthétiques. Cette compétence de la raison permet de définir, d’éclaircir, de dissocier, de délimiter, de sélectionner et classer.


La comparaison introduit une faille, une l'altérité dans le discours en pointant vers une réalité autre mais semblable à celle dont il est parlé. La comparaison porte en même temps la figure du même et de l'autre. Elle est même que l'objet comparé en ce qu'elle partage avec lui une caractéristique structurelle, un concept qu'il appartiendra au lecteur de reconnaître. On ne peut ainsi comparer que ce qui est comparable. On peut comparer par exemple la peau à une pêche dans le registre de la texture, du toucher, de la douceur. La figure du comparant appartient à un registre de réalité différent de celui du comparé, ce qui oblige la pensée à se transposer dans un ailleurs qui en général est un ailleurs concret, palpable. Plus le comparé est abstrait en général et plus le comparant sera concret afin de compenser l'abstraction. En ceci la comparaison est un moyen de faire réfléchir, d'opérer une prise de distance sur le discours à l'instar d'une question, quoiqu'elle n'en possède pas l'altérité radicale. On peut dire que grâce à la comparaison les choses peuvent dialoguer entre elles, puisque comparer deux choses ou deux idées c'est leur demander :" que partagez-vous et quelles sont vos différences ? " C'est d'ailleurs le risque de la comparaison : abuser de la ressemblance en la généralisant et en oubliant les différences.

En comparant deux choses, nous éclairons l'une par une autre qui est censée nous parler, faire partie de notre expérience courante. Dans l'exemple ci-dessus de la peau de pêche, nous sommes censés déjà avoir touché une pêche. La comparaison explicite, éclaire, ramène le lecteur ou l'interlocuteur à un domaine qui lui est familier afin de l'aider à comprendre ce dont il est question. La comparaison est aussi une figure de rhétorique qui introduit des images concrètes et parlantes dans le cours d'un dialogue, comme dans l'expression « il est bavard comme un perroquet » : en cela elle est très utile dans la Pratique Philosophique afin de montrer au Sujet ce qu'il fait sans s'en rendre compte. Par exemple pour signifier au Sujet son évitement dans sa réponse à une question alternative requérant un engagement de sa part (une question "fermée"), nous lui jouons la saynète de Romeo : "Imaginez que Romeo demande à Juliette : - Juliette, veux-tu m’épouser ? et que celle-ci réponde - si tu veux… Pensez-vous que Juliette ira au mariage ? »

Cette comparaison avec une situation fictive impliquant des figures de la culture populaire parle au Sujet plus efficacement que de lui dire "tu n'as pas répondu à ma question alors fais-le maintenant !" La comparaison, en tant que figure de rhétorique est ainsi éminemment performative et bénéficie à ce titre d'une place de choix dans la consultation philosophique.

Superficiel

La comparaison semble être une opération tellement fondamentale, élémentaire et courante de l'esprit que nous avons du mal à la définir. Nous comparons en permanence afin d'évaluer ce qui est le plus adapté, le plus cohérent, le plus agréable, le plus pratique, le plus cohérent et pertinent. Nous ne pouvons comparer que deux choses à la fois : dans la comparaison, chacun des termes de la comparaison éclaire l'autre en retour, des correspondances sont trouvées au sein du Sujet qui compare, ce qui éclaire également celui-ci sur ses priorités. Nous opérons pourtant souvent des choix sans que nos priorités soient explicitées, sans avoir comparé les options de manière réfléchie.

Comparer deux éléments identiques dans leur nature, c'est introduire un critère quantifiable, un dénombrable, pour les distinguer. Platon nous met en garde contre la distinction de notions continues : comment établir la différence entre deux tas de sable si ce n'est par exemple en les pesant, donc en introduisant un instrument de mesure et une unité numérique, elle-même discrète et qui permet d’introduire un critère arbitraire de distinction ? La comparaison quantitative a toujours un caractère superficiel puisque nous ne savons jamais où mettre le curseur. Nous disons que comparaison n'est pas raison parce que la comparaison n'est pas un raisonnement sur un énoncé ou une proposition, c'est une illustration qui permet d'éclairer un phénomène, de l'expliquer, d'en transposer le mécanisme dans un autre registre, mais la comparaison, opération purement externe à la chose, ne peut toucher son essence, au contraire d'une question ou d'une objection qui peuvent le déconstruire de l'intérieur.

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