
L’être humain souffre. De ses limites, de sa finitude, de la distance entre son être et ses aspirations, de la fracture de son être, éclaté entre diverses aspirations ou pulsions, de la tension entre son individualité et son entourage. Pour compenser, pour traiter sa douleur à défaut de la guérir, nous nous inventons des consolations, diverses manières d’exister qui nous permettent de survivre existentiellement. Certes, on peut aussi nommer cela « projet de vie » ou « manière d’être ». Nous le nommons consolation. Et nous relisons divers auteurs dans cette perspective, afin de comprendre comment chacun de nous se console, chacun à sa façon.
Le romancier français Marcel Proust est bien connu pour sa madeleine éponyme, célèbre épisode issu de son roman "Du côté de chez Swann". Par hasard, sa mère lui a offert une tasse de thé chaud avec des madeleines qu'il a plongées dans le thé avant de les mettre dans sa bouche, produisant un effet puissant: «Aussitôt que le liquide chaud mélangé avec les miettes a touché mon palais, un frisson me traversa et je m'arrêtai, saisi par l'extraordinaire chose qui m'arrivait."
Au début, il ne comprend pas la raison d'une telle émotion. Mais le plaisir intense semble le rendre indifférent à toutes les épreuves et tribulations de la vie, oublieux de sa propre finitude, comme s'il remplissait son esprit d'une fragrance précieuse. Il cesse soudainement de se sentir médiocre et mortel. Étonné, il se demande d'où vient cette puissante sensation, puis se souvient de son enfance, quand sa tante Léonie, chaque dimanche matin, lui offrait cette douceur.
C'est précisément la fonction de la nostalgie. Un moment dans notre passé, fixé pour l'éternité, semble capturer un sentiment intense de bonheur, de merveilleux ou de bien-être, si puissant qu'il semble ne jamais pouvoir disparaître. Bien sûr, il ne faut pas essayer de déterminer une raison objective à un tel enthousiasme. C'est un souvenir très personnel d'une sensation particulière, plutôt mythifiée par le temps, qui pourra rester absolument incompréhensible pour autrui. Comme l'étrange bonheur de manger une madeleine.
Ce moment particulier dans le passé non seulement reste très présent, mais représente aussi notre connexion à l'éternité, un sentiment de transcendance, d'existence complète et totale, au-delà de toute limite, toute fracture, tout besoin ou insuffisance. Il semble qu'à cet instant nous touchions une sorte d'état divin et le simple fait que nous ayons vécu ce moment rend notre vie digne d'avoir été vécue, malgré toutes les vicissitudes. Bien sûr, on peut aussi éprouver de la tristesse, un sentiment de distance et de perte, car l'événement original est depuis longtemps disparu.
Reste la question de déterminer la substantialité, la signification et la permanence d'une telle apparition émotionnelle
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