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21 nuances de mensonge (2ème partie)



Le mensonge peut prendre de nombreuses formes. Tellement de formes que nous avons dû couper le message en deux parties.

Nous avons choisi ici de les énoncer selon les problèmes cognitifs qu'elles posent, sans prendre de point de vue moral. La limite entre conscience et inconscience est floue dans le phénomène du mensonge. Aussi avons-nous pris le parti pris de considérer comme mensonge toute forme d'énonciation ou d'acte qui, sans être pleinement conscient, pourrait le devenir et apparaître comme mensonge si le Sujet avait un regard critique sur lui-même et se posait objectivement la question de l'authenticité de son attitude et de son discours.

De même, nous avons analysé le mensonge sous ses différentes formes et ses différentes causes puisque les deux se recoupent bien souvent.


11- Le mythe

Nous avons tous en tête des histoires collectives ou individuelles que nous aimons nous raconter afin de nous procurer une identité. Ce mythe est le résultat d'un polissage avec le temps qui a fait qu'il possède différentes versions selon l'effet que l'on recherche à obtenir sur nous-mêmes ou les autres. Ce mythe sert en général de consolation, de justification ou de diversion à la souffrance originelle de notre existence. Il vient illustrer de manière tout à fait opportune l'image que nous voulons renvoyer de nous-même, même s'il contient un corpus factuel à l'origine. Avec le temps, les apports et aménagements viennent se sédimenter afin de s'adapter aux circonstances et à l'auditoire et il devient difficile d'en retracer la genèse véritable. Ainsi on peut dire que toute réalité relève d'une fabrication chez l'homme : la différence tient au degré de crédibilité que le Sujet accord à tous ces mythes.


12 - L'affirmation-négation

Il s'agit d'un phénomène assez courant : le Sujet avoue une chose puis se rétracte aussitôt avec un « mais » affirmant en général le contraire. Ou bien il va affirmer que "ce n'est pas que ce soit…" ou alors après avoir dit le mot il va ajouter "ce n'est pas le bon mot, c'est trop fort". Le Sujet ressent une douleur au moment où spontanément il dit la vérité et se met en place de manière automatique un mécanisme d'autoprotection qui lui fait vouloir dénier, gommer ou adoucir ce qu'il vient pourtant d'admettre avec une certaine franchise spontanée. Le Sujet se trahit ou trahit ses propres mots en même temps que ses propres mots le trahissent. C'est une forme de mauvaise foi qui lutte contre la vérité que les mots semblent vouloir dire en dépit du Sujet, comme s'il y avait une lutte entre l'esprit et le désir, entre le moi transcendantal et le moi empirique.

13 - La rhétorique

Elle consiste, dans sa version codifiée et stratégique, à user d'artifices langagiers afin de convaincre son interlocuteur, d'emporter l'adhésion de son auditoire qui peut aussi être soi-même. Elle existe également dans sa version naturelle, intuitive, comme lorsque nous utilisons des euphémismes afin de gommer, diluer, enjoliver un état de fait que nous jugeons trop désagréable pour être dit tel quel. Le langage est utilisé soit pour décrire la réalité soit pour la modifier : c'est dans cette dernière optique que la rhétorique est utilisée. La plupart du temps c'est la version intuitive quasi inconsciente que nous utilisons notamment à travers ces petits adverbes qui nous permettent de minimiser notre engagement : "pas nécessairement", "pas complètement", "partiellement". Dans d'autres cas ils masquent le vide de notre pensée ou notre ignorance : "ça dépend", "peut-être"...D'autres fois au contraire ils tendent à magnifier une réalité banale avec des adverbes comme "incroyablement", "toujours", "magnifiquement" etc. La rhétorique est une forme de mensonge à chaque fois qu’elle est utilisée comme évitement d’une vérité qui dérange.

14 - Jouer

Faire des plaisanteries est une manière joyeuse de mentir car celui qui plaisante fait diversion avec la réalité ou la logique, il introduit en général une dose de narcissisme dans son discours car celui qui fait des plaisanteries le fait pour "amuser la galerie" et souvent se faire aimer en retour : comment ne pas aimer celui qui provoque en vous ce plaisir qu'est le rire ? Ce faisant, le plaisantin n'est pas dans le vrai, même s'il peut aussi utiliser la plaisanterie pour prendre de la distance avec le vrai, ce qui pour le coup est une manière d'adoucir la vérité. A l'instar du jeu, la plaisanterie a cette fonction performative qui provoque une réaction chez le Sujet. Cette réaction peut être de la réflexion mais en général elle se fait dans un second temps, une fois que le temps de la détente du rire est passée. L'ironie est une forme de jeu particulière qui est à la fois vrai et faux : l'ironiste avance le faux pour faire placer le vrai mais il prend le risque que l'ironie ne soit pas comprise par l'interlocuteur. La plaisanterie se transforme en véritable mensonge à partir du moment où elle est systématiquement utilisée comme stratégue de diversion du réel.

15 - L'embellissement

La réalité est souvent dure, ennuyeuse et terne voire laide ou horrible. La tentation est grande de l'embellir en exagérant nos qualités, notre rôle, en gonflant notre influence et nos actions, en oubliant opportunément les zones d'ombres et les échecs, les compromissions, mesquineries et autres lâchetés. Le concept du maquillage dans la séduction en est un bon exemple. On se maquille pour gommer les tâches, les marques de fatigue et de vieillissement voire les plaies et les bleus consécutifs à des coups, dans le but de se faire admirer, de bâtir une image artificielle qui nous attirera quelque intérêt. On peut aussi le faire par des attitudes comme faire le beau ou la belle, faire l'intelligent ou se vanter. Cette forme de mensonge est également très utile dans le but de convaincre afin de faire accepter une situation ou d'atteindre un objectif spécifique.

16 - La diversion


Face à une réalité pénible, douloureuse, honteuse ou triste, nous savons facilement par le langage faire diversion, i.e. produire une phrase qui va masquer la réalité et compenser le sentiment d'embarras et de gêne auquel le Sujet est confronté. Ce dernier aura recours à des formules toutes faites comme "j'ai besoin de temps pour réfléchir" ou bien "je ne trouve pas les mots justes" pour justifier d'une ignorance ou d'une impuissance à comprendre ou donner du sens à un phénomène, comme si le problème était un problème de temps ou de vocabulaire et pas de compétence. Evidemment le manque de compétence est difficilement avouable. Par ailleurs ces diversions ne sont pas sans fondement et sont peut-être même vraies, c'est pourquoi en général elles passant "comme une lettre à la poste". Le problème est qu'elles veulent masquer une réalité plus substantielle et donc une forme de mensonge.

17 - Le vague

Une proposition vraie doit être claire, déterminée, assumée et précise. Comme l'affirme le troisième postulat de la logique, son contraire est nécessairement faux. Une manière très commune de masquer la vérité est de rester dans le vague, le flou artistique, l'indéterminé afin de "noyer le poisson" tout en produisant des mots. D'ailleurs en général plus c'est verbeux, compliqué, alambiqué et abstrait et plus cela masque le vide d'une pensée substantielle. "Un concept sans intuition (sans expérience sensible) est vide" disait Kant. Nous ne voulons pas nous avouer que nous sommes creux, ignorants, vains, futiles, superficiels, lâches... alors nous produisons du "vague". Quand nous sommes face à un choix, nous aimons en toute mauvaise foi prétendre pouvoir nous cantonner à la douceur de l'entre-deux, dans le coton de l’indécision ou de la procrastination, le risible car illusoire « non-jugement », la nuance qui ne veut pas trancher et se noie dans ses propres méandres, ce qui donne l'illusion de profondeur, de "complexité" alors qu'il n'y a en fait que vide et prétention. Nous aimons prononcer des phrases cryptiques, apparemment paradoxales et mystérieuses. La sophistication est ainsi souvent le signe du néant de la pensée.

18 - Le chaos

Le chaos est une forme de mensonge dans la mesure où le sujet choisit cette stratégie. Ce n'est pas un chaos total, ce qui confinerait à une forme pathologique, mais un chaos relatif. Le Sujet se complaît dans une pensée associative, à "rebondir" sur des sujets annexes ou périphériques ou bien à laisser la discussion vaquer au gré de ses emportements émotionnels qui sont bien souvent fréquents.

Le chaos est une forme de mensonge lorsque clairement le Sujet feint de voir l'inanité de ce qu'il dit, comme des contradictions flagrantes qui sont accumulées sans les prendre en charge par exemple. Cette fuite en avant délibérée dans l'irrationalité est une forme de protection face à une réalité que le Sujet ne veut pas affronter car probablement trop douloureuse. Le problème empire lorsque cette manière de fuir est devenue une habitude de penser si pregnante que le Sujet ne se rend pas compte qu'il nage en pleine confusion. Evidemment, les autres ne sont pas dupes, et auront tendance à fuir ce genre de personnage qui voudrait les attirer dans son chaos.

19 - L'intelligence

Il peut paraître quelque peu étrange de dire que l'intelligence est une forme de mensonge. Pourtant, pensons à celui qui cherche les arguties, qui joue sur les mots, qui se lance dans des combats sémantiques stériles qui n’en finissent pas, balance des phrases oraculaires sensées laisser son interlocuteur coi. Il regrette que le langage soit "limité" et ne puisse exprimer sa "pensée profonde" car pour lui "la réalité est plus complexe", les questions ne peuvent pas être "binaires". Lorsque vous lui proposez une réponse à une question, il vous remet à votre place avec un "je ne suis pas sûr" (dit d'un air contemplatif), comme si penser reposait sur une quelconque certitude.


Lorsque les mots ne lui conviennent plus, il demande des définitions sur des mots très communs, prétendant se réfugier dans l'exception et le mysticisme. Il n’hésite pas à transformer un dialogue en bourbier dont personne ne pourra s’extraire tant il accumule les expressions compliquées et mystérieuses. L’intelligence est pour lui une manière de mentir tout en gardant l’apparence de la sophistication.


20 - L'explication

Elle est utilisée pour dévier d'un phénomène problématique, pour sortir de l'aveu d'une situation dans laquelle nous avons une forme de culpabilité, légitime ou non. Elle sera en général alambiquée, ce qui permet de mieux noyer le poisson. Elle utilise de vagues généralisations ou bien des exceptions ou encore des extravagances qui rendent le problème plus acceptable par l'interlocuteur. Elle peut cependant avoir une certaine vérité et témoigner d'une bonne intention mais au service de l'évitement d'une vérité plus fondamentale et plus embarrassante pour celui qui en fait usage. L'accroche qui la précède est en général "laissez-moi vous expliquer...".

21 - La sincérité

On comprend généralement la sincérité comme le fait d'être exempt de tromperie, d'hypocrisie et donc de mensonge. Mais quand on y regarde de plus près, les choses se compliquent. En effet, le sincère prétend dire ce qu'il pense ou ressent et c'est là que se glisse l'ambigüité. D'une part parce qu'entre ce que l'on dit et ce que l'on pense, le hiatus peut être important, comme en témoignent les signes corporels qui nous trahissent, comme un rictus ou un sourire forcé. D'autre part parce que nos sentiments ou nos impressions bien souvent ne résistent pas à un examen critique. Or penser c'est justement avoir la possibilité de prendre une distance critique, ce que le sincère ne peut (ou veut) pas faire, tout plein qu'il est de son sentiment, de son cœur et qui plus est de sa bonne conscience, ce qui le met en plus du côté du Bien. Le sincère sait, il est du côté de la vérité, du bon, du bien et j'allais dire du bien-pensant. Il est aussi têtu, répétitif, rigide et absorbé par lui-même et ses impressions. Ce faisant, comme le faisait remarquer Sartre il n'est pas authentique mais de mauvaise foi. Seul l’authentique en effet peut procéder à un examen critique de ses propres croyances et sentiments, a une pensée lucide et voit l’objectif qu’il veut atteindre, seul il est conscient de la complaisance dont fait preuve le sincère, si facilement, trop facilement, collé à lui-même, englué en lui-même et en sa bonne conscience comme dirait Sartre.

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