Le moi empirique est le sujet quotidien et ordinaire avec lequel nous composons. Ce serait notre "moi naturel", le moi qui a des désirs, des émotions, qui souffre et ressent de la joie, qui souhaite, qui espère, qui est déçu, satisfait ou insatisfait. C'est la façon dont nous vivons nos vies lorsque nous ne réfléchissons pas à notre existence ni à celle des autres. Pour de nombreuses personnes, probablement la majorité d'entre nous, c'est le moi qui régit la majeure partie de notre existence.
Lorsque le moi empirique pense, la pensée n'est qu'un moyen de résoudre un problème pratique
Le principal problème du moi empirique est qu'il n’est que "lui-même" : il est donc principalement dépendant de ses réactions aux événements extérieurs, il est réactif la plupart du temps, il n'a aucun contrôle conscient sur lui-même. Cela ne signifie pas que le moi empirique est stupide ou qu'il ne pense pas : il calcule, anticipe, résout des problèmes pratiques, discute avec les autres, exprime ses opinions, ses sentiments, raconte ses histoires. La plupart du temps, il veut dire au monde qu'il existe, sans vraiment savoir pourquoi ni si cela intéresse les autres. Lorsqu'il pense, la pensée n'est qu'un moyen de résoudre un problème pratique, d'atteindre un objectif prédéterminé, un moyen pour une fin qui lui est externe.
Le moi empirique c’est le règne des opinions, des préjugés (qu'ils soient positifs ou négatifs, légitimes ou illégitimes), des croyances (qu'elles soient matérielles ou spirituelles), de l'expression de soi, des débats, de la sincérité. Sartre dénonce le sincère car il n'y a pas de distance par rapport à lui dans ce "régime" subjectif : il reste englué en lui-même, il est de mauvaise foi.
A l’opposé, ce que nous appelons le moi transcendantal (MT) est un pur sujet de pensée, le philosophe en nous.
Le moi empirique (ME) est plutôt aveugle à lui-même, malgré une conscience superficielle de ce qu'il fait, dit ou a l'intention de dire ou de faire. Même lorsque le moi empirique dit "je dois, je n'ai pas le choix", il sait que c'est un mensonge au fond de lui-même, que nous avons toujours le choix.
A l’opposé, ce que nous appelons le moi transcendantal (MT) est un pur sujet de pensée, le philosophe en nous. Il voit les choses de manière objective, sans être troublé par la peur, l'anxiété, les attentes, la colère, voire l'enthousiasme ou l'excitation. Il a la logique, peut-être même la dialectique de son côté. Il est capable de se nier tout en se maintenant dans le même mouvement, d’être une “médiation de lui-même” pour reprendre Hegel.
Il déduit, infère, raisonne. Son attitude principale est l’étonnement face à tout phénomène humain et l’intérêt pour la vérité. Il est intransigeant dans sa quête de vérité, de clarté, de profondeur de la pensée, d’objectivité et de franchise. Avant de porter un jugement, il le suspend, se rétractant momentanément du monde pour "voir les choses telles qu'elles lui apparaissent".
Il aime se confronter aux limites de la pensée et de l'être. Il est en questionnement constant, peu importe l'enjeu. Il ne se soucie pas des conventions sociales subtiles, risquant donc de paraître quelque peu brutal ou insensible lorsqu'il questionne ou affirme, toujours en partant du sens commun.
Il veut savoir et penser par lui-même, il veut voir avec clarté et veut des réponses à ses questions, même s'il n'y a que des hypothèses : il aime jouer le jeu de la pensée pour elle-même, sans s'intéresser à ce qu'il peut en retirer ou gagner, mais seulement pour le plaisir de penser, comme un exercice pur et libre.
Il n'a aucun intérêt pour le pouvoir, à moins que ce ne soit le pouvoir sur lui-même. Il est donc à la fois puissant et fragile. Puissant car il peut voir beaucoup plus grand et plus profond que le moi empirique (ME), il peut atteindre les étoiles avec la pensée, il peut donner du sens à tout ce qui l'entoure ou s'amuser avec. Mais il est en même temps fragile car le moi empirique (ME) peut le faire disparaître lorsqu'il est préoccupé par ce qu'il prétend être des "urgences" comme s'occuper de la famille, se reposer ou travailler.
Le ME cherche à éviter la confrontation avec le MT
Bien sûr, le ME est essentiellement dédié à l'action envers le monde : satisfaire les besoins, bien sûr, en commençant par les besoins corporels, conquérir le pouvoir, se faire reconnaître et aimer, construire une carrière, convaincre les autres, devenir riche, réussir, voire changer ou sauver le monde, se distraire pour échapper à la confrontation souvent effrayante avec le moi transcendantal.
J'ai dit effrayant parce que le MT peut montrer au ME la fracture de l'être, l'abîme de néant qui habite son âme et qui le rend si avide de se remplir de toutes sortes de divertissements comme les séries Netflix, les sports extrêmes, la vie sexuelle débridée, l'utilisation de drogues et toutes sortes d'autres choses. Mais le MT est léger et danse au-dessus de l'abîme, il se voit comme un vide et en est heureux.
Comme vous l'avez probablement deviné, ces deux aspects coexistent en chacun de nous. Bien que beaucoup de gens semblent ne laisser vivre que le ME, il y a des moments, généralement de crise, où le MT est appelé à prendre position parce que le ME est impuissant ou déprimé. Mais le MT est souvent trop faible pour être entendu, car il n'a pas été suffisamment entraîné pour se renforcer.
Ainsi, même les personnes entièrement axées sur l'action, pragmatiques et matérialistes, comme la plupart des hommes d'affaires, ont parfois besoin de faire appel à leur MT. À l'opposé, ne vivre que pour le MT rendrait votre vie misérable, à moins que vous n'ayez quelqu'un pour prendre en charge tous vos problèmes matériels. Ce serait probablement le cas pour certains des anciens philosophes grecs comme Platon qui possédait des esclaves pour s'occuper de ses affaires. Socrate le faisait également, mais il a accepté de vivre comme un clochard à Athènes.
Mais ne vivre que dans le “mode MT” vous rendrait probablement suspect à la plupart de vos semblables, car vous passeriez votre temps à les interroger, à leur montrer leurs contradictions, leur superficialité, leurs incohérences et leur inconsistance. Ils vous mettraient à l'écart en tant que "porteur de mauvaises nouvelles" et comme celui qui n'est jamais satisfait des activités “vulgaires” comme fonder une famille, faire carrière, aller à la plage ou faire un barbecue entre amis.
Un bon compromis consisterait à consacrer régulièrement des moments précis pour créer un dialogue entre le MT et le ME. Le MT n'est pas "naturel" : il doit être entraîné en pratiquant régulièrement des exercices de réflexion. Ils portent sur le développement de compétences telles que l'approfondissement (synthèse, analyse, interpréter, voir les présupposés, exemplifier, interpréter et juger, expliquer), problématiser (questionner et réfuter) et conceptualiser. Il est plutôt difficile de se soustraire à la tyrannie du ME, il faut donc généralement l'aide d'autrui pour cette confrontation, en tant que partenaire d'entraînement. Sinon, le risque de complaisance est trop élevé : le ME sait toujours mieux comment tromper le MT et le faire taire.
C'est précisément le but d'une consultation philosophique : renforcer le MT pour le réhausser au niveau du ME afin qu'ils puissent avoir un dialogue authentique et fructueux. En fin de compte, ils devraient apprendre à vivre heureux ensemble.
Si vous voulez tester une consultation philosophique, c’est ici : www.dialogon.fr
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