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Peut-on aimer sa tristesse ?



Drôle d'association a priori puisque la tristesse s'oppose à la joie qui est associée à l'amour, “joie qu'accompagne l'idée de sa cause extérieure” comme nous le dit Spinoza. Si la tristesse, encore selon Spinoza, est une "diminution de notre puissance d'exister" alors on ne voit pas bien comment on pourrait aimer ce rabougrissement de l'âme, ce repli en soi. Pourtant on peut y voir une certaine forme de confort : celui ou celle qui se complait dans sa tristesse se réfugie dans son intériorité, peuple son univers mental de ses personnages tristes, se joue et se rejoue sa propre tragédie familière. Il se fait le héros tragique d’une pièce grandiose.

Ce faisant il se donne des excuses pour ne pas faire ce qu'il devrait ou pourrait faire : la tristesse nous arrange bien si elle nous permet de nous dispenser d'obligations fastidieuses ou d'actions qu nécessiteraient un certain courage. La tristesse provoque un repli sur soi qui nous enferme et finit par nous faire perdre la connexion à autrui, au monde voire à nous-mêmes, ou en tous cas à la part rationnelle et puissante de nous-mêmes..

Sombrer dans la tristesse est mortifère parce que la seule issue devient la mort, le point de fuite ultime de cette "chute horizontale" que constitue la vie. La tristesse pointe toujours une absence : de réussite, d'amour, d'intérêt. Pourtant elle est aussi occasion de réflexion sur soi, pour peu que le Sujet rassemble ses forces pour se concentrer sur ce que la tristesse dit de lui-même. Car si la tristesse est absence elle témoigne aussi de notre désir : de reconnaissance, d'amour, de réussite, de compréhension, de lien, d'accomplissements, de sens.... En comprenant notre désir nous pouvons aussi bien le problématiser : est-ce raisonnable de désirer cette chose et de la désire aussi fort, puis-je me satisfaire autrement que par l'objet ou l’être désiré ? Puis-je remplacer ou sublimer ce désir par un autre plus accessible ou plus sain ? La tristesse peut aussi être un signal d'alarme nous enjoignant de nous ouvrir à autrui, de nous lancer dans des activités créatrices et motrices au lieu de nous morfondre dans l’impuissance en attendant la compassion ou l’aide de quelqu’un (sans avoir eu à faire l’effort de lui demander de l’aide) : lire ou écrire, peindre, composer une musique...combien d'oeuvres d'art ne sont-elles pas nées de l'âme triste de l'artiste ? Que l'on songe à Victor Hugo qui écrit “Demain dès l’aube…” en mémoire de sa fille Léopoldine morte noyée quatre ans plus tôt, à Baudelaire avec les Fleurs du Mal, aux plus grandes chansons populaires d'amour probablement nées d'un grand chagrin d’amour, aux tableaux de Picasso en réaction au suicide de son ami Casagemas. A toute chose malheur est bon...

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