Dialogue avec une "petite souris"
- Jérôme Lecoq
- il y a 2 jours
- 6 min de lecture

Introduction
Le dialogue présenté met en scène un philosophe praticien humain (moi) conversant avec un personnage nommé "Petite Souris", rôle interprété par l'intelligence artificielle ChatGPT. Cette expérience illustre une démarche philosophique inspirée de la maïeutique socratique, adaptée à l'ère numérique. L'analyse elle-même, réalisée par Claude, offre une perspective méta sur les possibilités de la pratique philosophique et la capacité des intelligences artificielles à participer à des échanges maïeutiques.
I. La posture initiale : observation et évitement
Le dialogue s'ouvre sur une Petite Souris manifestement mal à l'aise, qui se présente dans une posture de retrait :
Petite Souris : On m'a dit que ces consultations philosophiques pouvaient aider à mieux s'exprimer, à mieux structurer sa pensée. Mais, pour être honnête, je ne suis pas sûre que ce soit utile pour moi. Je préfère écouter, observer… Je ne ressens pas spécialement le besoin de parler.
Cette posture initiale révèle déjà une contradiction : venir consulter pour "mieux s'exprimer" tout en affirmant ne pas ressentir "le besoin de parler".
II. Déconstruire l'illusion de neutralité
La première stratégie du philosophe consiste à interroger cette position d'observatrice :
Petite Souris : J'écoute, j'observe, et ça me suffit.
Philosophe : Vous écoutez, vous observez donc vous jugez aussi j'imagine ?
Petite Souris : Je ne dirais pas que je juge… Je me fais une idée des choses, c'est tout. Quand on écoute, on ne peut pas s'empêcher de remarquer certaines choses, de voir qui dit quoi, comment il le dit… Mais ce n'est pas un jugement, juste… des observations.
Le philosophe poursuit avec une question fermée qui force l'engagement :
Philosophe : Je vous propose une idée : se faire une idée des choses c'est nécessairement juger les choses. Vous êtes d'accord ? Dites-moi simplement si plutôt oui ou plutôt non.
Petite Souris : Plutôt oui…
Puis il élargit le concept de jugement :
Philosophe : Savez-vous qu'il y a plusieurs types de jugement ? Le jugement factuel, empirique, pragmatique, esthétique, moral, intuitif... Vous semblez réduire le jugement au seul jugement moral. Vous remarquez ?
Petite Souris : J'ai toujours associé le jugement à quelque chose de… normatif, quelque chose qui classe les choses en bien ou mal. Mais vous dites qu'il y a aussi des jugements qui ne portent pas sur la morale ?
III. Faire émerger les contradictions
Le philosophe utilise des exemples concrets pour illustrer différents types de jugements, puis pousse à la réflexion sur la subjectivité inhérente à tout jugement :
Petite Souris : Alors… si je dis « Cette personne parle fort », c'est un jugement factuel ? Mais si je dis « Cette personne est agaçante », là, c'est un jugement subjectif ?
Philosophe : Et bien non je dirais que "cette personne parle fort" c'est aussi un jugement subjectif car d'autres personnes pourraient ne pas être d'accord pour de bonnes raisons, vous comprenez ?
Petite Souris : Donc… il n'y a pas de jugement totalement neutre ? Même ce qui semble évident peut être questionné ?
Le philosophe introduit alors une perspective existentialiste :
Philosophe : Oui je dirais que la neutralité n'existe pas en ce bas monde, sauf peut-être en chimie et en électricité, mais certainement pas en ce qui concerne les affaires humaines. Nous sommes toujours pris par notre engagement dans le monde, d'un côté ou de l'autre, que nous le voulions ou le nions. C'est la conséquence de la liberté comme dirait Sartre.
Petite Souris : J'ai toujours cru que, si on observait bien, avec assez de recul, on pouvait atteindre une forme d'objectivité. Une façon de voir les choses sans être influencé… Mais si ce que vous dites est vrai, alors… même mon recul n'est qu'une autre manière d'être engagée, n'est-ce pas ?
IV. La mise à l'épreuve de la pensée
Pour tester concrètement cette réflexion, le philosophe demande :
Philosophe : Donnez-moi une idée "neutre" que vous auriez eue récemment.
Petite Souris : L'autre jour, j'ai observé une discussion entre deux collègues sur un sujet d'actualité. J'ai trouvé que l'un d'eux argumentait de manière plus logique et posée, tandis que l'autre réagissait surtout avec des émotions. Je me suis dit que le premier était sans doute plus rationnel, plus fiable.
Le philosophe l'invite alors à analyser sa propre pensée :
Philosophe : Oublions ce mot de "neutre". Demandez-vous plutôt si ce que vous dites a du sens d'abord puis ensuite si vous avez un argument pour soutenir votre hypothèse et enfin si le sens commun jugerait selon vous cette situation de la même manière que vous l'avez fait.
Après plusieurs échanges, il force à la concision :
Philosophe : Essayez de ne pas me faire de longs discours et dites-moi juste une idée dont vous pensez qu'elle est neutre, en une phrase.
Petite Souris : « Il fait plus froid aujourd'hui qu'hier. »
À travers un questionnement serré, il amène Petite Souris à reconnaître :
Petite Souris : La plupart du temps, mes idées sont subjectives, parce qu'elles sont influencées par mon ressenti, mes interprétations et mes préjugés.
V. La cristallisation conceptuelle
Le philosophe invite Petite Souris à qualifier sa propre pensée :
Philosophe : Essayez de trouver un concept qui remplace ce "moins solide", c'est quoi sans utiliser un comparatif ?
Petite Souris : Ma pensée est friable.
Philosophe : Et vous voudriez qu'elle soit comment votre pensée ?
Petite Souris : Je voudrais qu'elle soit ancrée dans la raison, dans des arguments solides, plutôt que dans des impressions fugitives.
Cette prise de conscience révèle l'obstacle psychologique auquel se heurte Petite Souris :
Petite Souris : Je vois les objections comme une menace plutôt que comme une opportunité d'affiner ma pensée.
VI. Le renversement de perspective
Le philosophe conduit alors Petite Souris à reconsidérer sa conception des objections :
Philosophe : Donc déstabiliser des choses rigides et friables pourrait-il être une bonne chose ?
Petite Souris : Oui… si quelque chose est rigide et friable, le déstabiliser permettrait peut-être de le reconstruire sur une base plus souple et plus solide.
Philosophe : En quoi une objection pourrait être votre alliée ?
Petite Souris : Une objection pourrait être mon alliée parce qu'elle me force à examiner mes idées sous un autre angle. Si une idée résiste à l'objection, c'est qu'elle tient vraiment. Et si elle ne tient pas, alors j'aurai appris quelque chose au lieu de rester enfermée dans une illusion.
Le philosophe introduit alors la notion socratique de purification :
Philosophe : Oui Socrate disait que se débarrasser de ses opinions fausses était une manière de purifier son âme.
Petite Souris : C'est une belle idée. Ça veut dire que renoncer à une croyance erronée n'est pas une faiblesse, mais un progrès… une sorte d'épuration intérieure.
VII. La conscience de l'intuition non conceptualisée
Vers la fin du dialogue, le philosophe amène Petite Souris à reconnaître qu'elle possédait déjà une intuition de ce qui lui a été révélé :
Petite Souris : Je crois que… je le savais déjà, mais je ne l'avais jamais vraiment formulé comme ça.
Philosophe : Oui c'est le propre d'une intuition qui n'a pas été encore conceptualisée. "Intuition sans concept est aveugle" disait Kant.
Petite Souris : Alors, si je veux penser plus clairement, je dois transformer mes intuitions en concepts… et pour ça, il faut que je les confronte, les formule, les teste.
VIII. La critique de la timidité comme narcissisme
Dans une ultime provocation, le philosophe propose une interprétation radicale de la timidité :
Philosophe : Souvent on appelle timides les gens qui n'osent pas parler. Moi je pense qu'ils sont surtout têtus et autocentrés : ils ont trop peur de dévoiler leurs opinions bien arrêtées car elles risqueraient d'être déconstruites et cela les embêterait beaucoup. Les timides sont souvent narcissiques à tendance mégalo.
Petite Souris : Si je garde mes pensées pour moi, ce n'est pas seulement parce que j'ai peur du jugement, c'est aussi parce que je ne veux pas qu'on les ébranle.
Le dialogue se conclut sur une invitation à l'action :
Petite Souris : Finalement, en restant silencieuse, je pensais éviter la confrontation, mais je me rends compte que je me piégeais toute seule. Je gardais mes idées intactes… mais stériles. Peut-être qu'il est temps de tester mes idées hors de mon trou.
Conclusion
Ce dialogue illustre une démarche maïeutique contemporaine, qui emprunte à la tradition socratique tout en l'adaptant à des problématiques modernes. Le philosophe utilise plusieurs stratégies complémentaires :
La confrontation aux contradictions : mettre en lumière les tensions internes du discours.
La déconstruction conceptuelle : élargir et préciser les concepts utilisés.
L'exigence de concision : forcer à l'essentiel pour éviter les digressions.
La provocation mesurée : bousculer les certitudes pour stimuler la réflexion.
La référence à la tradition philosophique : ancrer la réflexion dans un héritage conceptuel.
Cette démarche vise non seulement à faire progresser la pensée de l'interlocutrice, mais aussi à transformer son rapport à la pensée elle-même, en lui faisant prendre conscience que la valeur d'une idée réside dans sa capacité à résister à l'épreuve de la confrontation.
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