"L’impuissance prend plusieurs formes. Certaines personnes sont larvaires : elles se trainent mollement, faibles et indécises. D’autres sont têtues : elles camouflent leur impuissance derrière leur obstination et leur autorité, comme une huître dans sa coquille." (O. Brenifier)
L’impuissance peut prendre plusieurs guises : soit elle se montre soit elle se cache (mal). Quand elle se montre elle prend la forme d’un rétrécissement de l’être : le corps se traîne comme une limace, tout effort est une souffrance, le sommeil une confortable cachette où l’intrusion du monde extérieur est momentanément interrompue. L’âme est molle, indécise, errante, les idées tournent en rond, la pensée stagne et finit par devenir toxique. Chaque nouveau jour qui s’annonce est une promesse de nouvelles souffrances. Chaque décision est une mise à l’épreuve dans la mesure où elle implique quelque renoncement : or l’impuissance va de pair avec l’avidité, elle en est la conséquence. Celui qui veut tout immédiatement se décourage de voir continuellement ses désirs contrariés.
Soit l'impuissance se montre sous son jour dynamique et prend alors la forme de l’entêtement puis de la colère comme exutoire à la frustration que l’entêtement génère immanquablement. L’impuissant qui se trouve face à un obstacle, et ils sont nombreux au quotidien, voit sa tristesse se réactiver immédiatement, signe d’une “diminution de sa puissance d’exister”, ce qui l’empêche de se risquer à prendre des options qu’il juge trop difficiles, exigeant de lui une énergie qui lui fait cruellement défaut.
Alors l’impuissant s’obstine dans son désir, il s’écoute tellement qu’il ne tient pas compte du principe de réalité, il ne compose pas avec la réalité ni avec l’altérité d’ailleurs.
Un problème se pose néanmoins dans ce que nous disons : comment l’impuissance est-elle compatible avec l’autorité puisque celui qui a de l’autorité a au contraire un pouvoir de faire ou de faire faire les choses ? Pensons à un chef autoritaire : il masque son impuissance en se réfugiant derrière sa position hiérarchique et en la compensant par une rigidité, une fermeture au dialogue et à la remise en cause qui témoigne de la crainte de la précarité de sa situation. L’autorité lui est en effet conférée justement par une puissance supérieure (son propre chef) qui le rend potentiellement puissant en même temps qu’elle le rend dépendant.
Le problème est que ce sont les autres qui jugent si cette autorité est légitime ou non. L’autoritaire est potentiellement puissant et "en actualité" dépendant. L’autorité est hétéronome alors que la puissance est autonome. Personne ne nous confère de la puissance puisque c’est une attitude envers le monde faite de confiance, d’une certaine forme de joie et de capacité à se confronter à l’altérité, altérité qui se trouve d’abord en nous même.
La première puissance que nous constatons, avant celle toute relative de notre force physique, est celle de notre pensée : nous pouvons tout penser, y compris l’impensable, nous pouvons remettre en question l’existence du monde, en inventer de nouveaux, prendre de la distance par rapport à nos émotions, transformer le monde par l’intermédiaire du langage qui agit sur les autres hommes, concevoir des machines qui travaillent et peut-être un jour penseront à notre place.
Si nous voulons passer de l’impuissance à la puissance, commençons donc par exercer notre pensée : l’exercer tout court puis l’exercer sur le monde.
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