La mauvaise foi c'est quand notre raison suit la pente de notre vouloir au lieu que notre vouloir suive celle de la raison.
Le principe de la mauvaise foi est que celui qui est de mauvaise foi ne veut pas s'avouer ce qu'il est à lui-même, il ne veut pas admettre qu'il est "manipulateur" ou "mesquin" ou "envieux" par exemple et au contraire veut se voir comme “transparent”, “généreux” et “détaché.
C'est la raison pour laquelle dans la mauvaise foi il y a toujours une partie préconsciente qui sait pertinemment que nous sommes "comme ceci" ou "comme cela" (par exemple que nous sommes amoureux de telle personne ou que nous sommes envieux d'une autre) mais cette partie est tue, censurée, étouffée voire refoulée par l’autre partie. Celle qui veut est le “moi empirique” et celle qui sait (et pense) est le “moi transcendantal”
Dans le mensonge on sait qu'on ment à autrui donc il y a une forme d'authenticité, et on se raconte à soi-même qu'on le fait pour une bonne raison (ce en quoi il peut y avoir à la fois mensonge et mauvaise foi ou bien mensonge seul) mais on sait qu'on ment. Dans la mauvaise foi on prétend être "collé à soi-même", on nie ou on feint de ne pas se voir tel que nous savons que nous sommes de manière authentique. En d’autres termes le moi empirique feint de ne pas entendre le moi transcendantal.
Le véritable contraire de la mauvaise foi c’est l’authenticité
Et cette prétention à être collé à soi-même (englué dirait Sartre) c’est ce que nous appelons sincérité : c’est pourquoi, de manière contre-intuitive, la sincérité et la mauvaise foi vont bien ensemble. Le véritable contraire de la mauvaise foi c’est l’authenticité et le véritable contraire de la sincérité c’est le mensonge (même s’il peut y avoir mensonge pour autrui et quasi-mensonge à soi-même simultanément).
Alors quand je suis de mauvaise foi, qu'est-ce que je veux ?
Premièrement je veux avoir raison, ce qui est vraiment une expression maladroite dans la mesure où ce n'est pas la raison qui s'impose mais le “moi”.
Pour avoir raison je suis prêt à tous les stratagèmes, pour peu qu'ils ne soient pas trop grossiers. Le déni pur et simple est assez fréquent dans la mesure où le Sujet, d'une manière assez étonnante par ailleurs, arrive à se persuader qu'il a dit telle chose (pour le "faire” c'est plus compliqué dans la mesure où cela laisse des traces) qu'il n'a en fait jamais dite ou au contraire n'a jamais dit telle chose qu'il a bien dite. Avec l'habitude et l'âge aidant, cette tactique très pratique sera d'une efficacité redoutable pour ne pas reconnaitre ses torts dans une discussion à enjeux.
Vient ensuite l'attaque ad hominem au cours de laquelle le Sujet de mauvaise foi tente de décrédibiliser l'adversaire en lui rappelant qu'il a déjà commis une erreur semblable ou bien qu'il veut se venger d'un dommage subi par le passé ou encore qu'il est lui aussi de mauvaise foi parce qu'il veut “emporter le morceau”.
Ensuite viennent les outils de rhétorique pure qui sont assez faciles à déceler parce qu'ils sont assez voyants : l'argument d'autorité (“Einstein a dit un jour…”, “les chiffres de l’INSEE prouvent que… "), l'appel au nombre (“tout le monde sait bien que…”) ou à l'Histoire ("depuis la nuit des temps, les hommes… "), l'accumulation asphyxiante d'exemples qui ne montrent rien (spécialité des avocats pour instiller un doute raisonnable dans l’esprit des jurés ou des juges), la fausse question ("y a-t-il jamais eu quelqu’un qui… ? "). Je ne m'étendrai pas la dessus car Schopenhauer l'a fait bien mieux que moi dans son petit livre “L’art d’avoir toujours raison” (1864) où le philosophe décrit une trentaine de stratagèmes de mauvaise foi pour emporter un débat.
Deuxièmement je veux me défendre contre une objection dont je sens la menace, contre un jugement sur moi-même que je répugne même à penser, celui-là même que j’appelais “préconscient”. Je ne veux pas m'avouer à moi-même, je ne peux pas m'avouer à moi-même, que ce jugement sur ma personne a touché juste. Par exemple une personne me montre ma lâcheté en une circonstance, or je place le courage et l'honneur en haut de ma liste de valeurs.
Dès lors ma mauvaise foi peut prendre la forme de la colère : je m'offusque, je "monte sur mes grands chevaux" dans une posture théâtrale et menace de représailles l'importun s'il continue ses accusations ignobles. Évidemment une telle réaction d'indignation, si elle sauve les apparences, montre plutôt que l'interlocuteur a vu juste, selon le principe bien connu qu'il "n'y a que la vérité qui blesse" : cette colère a probablement pour moteur une honte sous-jacente.
Elle peut ensuite prendre la forme, très fréquente dans les disputes de couple, entre amis ou en famille du "tit for tat" ou en Français "un prêté pour un rendu" ("Et toi tu n'es pas lâche quand tu m'appelles pour te débarrasser d'une araignée ?”). Il s'agit, dans l'espoir de faire diversion sur l'attaque, de reprocher exactement la même chose à l’attaquant, ce qui évidemment ne prouve en rien que l'accusation soit fausse.
Enfin elle peut prendre la forme de la minimisation ou de la "circonstancialisation", qui sont des formes de déresponsabilisation : "c'était une petite lâcheté pour un bien supérieur" (la fin justifie les moyens), "il faut se remettre dans le contexte : à ce moment je n'étais pas moi-même" (excuse du coup de folie), "je n'avais pas le choix, si je n'avais pas fait cela je risquais de perdre moi-même mon job” (illusion de la nécessité).
Troisièmement on veut montrer sa valeur, on veut se mettre en avant, on veut séduire. Ici on pratiquera les petites exagérations en survalorisant son rôle (“ils étaient quatre contre moi”, “j'ai réorganisé l’entreprise à moi tout seul”), en pratiquant la fausse modestie au contraire (« je n'ai rien fait, tout le mérite vous en revient »), en oubliant opportunément ses erreurs, ses échecs, ses mesquineries. Le stratagème consiste surtout à travestir le passé, à se "raconter une belle histoire dont nous sommes le héros", à faire comme si nous étions le seul responsable d'une situation bénéfique, à se donner le beau rôle.
Quatrièmement on veut éviter un conflit, on ne veut pas blesser une personne mais on ne veut pas non plus mentir éhontément auquel cas nous ne serions plus de mauvaise foi mais nous serions menteur.
Ici on va plutôt jouer sur les euphémismes ("tu n'es pas avare, tu es économe, " tu n'es pas gros tu es juste un peu enrobé") ou on évite subtilement le sujet en posant une question en rapport vague ("et au fait comment va-t-il ?"). On tente d'enrober un jugement par des circonvolutions qui évitent de dire franchement ce que nous pensons (et à propos de quoi nous n'avons aucun doute). Cette stratégie d'évitement vaut aussi pour nous-même, afin justement d'éviter ce conflit avec nous-même, entre le Sujet empirique, désirant, qui veut être « courageux » et le Sujet transcendantal, la Raison en nous, qui dit froidement ce que nous sommes objectivement.
Chacun j’en suis sûr complètera cette liste non exhaustive des formes que revêt la mauvaise foi au quotidien. Je serais d'ailleurs curieux de lire vos commentaires à ce sujet.
Ainsi, au cours du phénomène de la mauvaise foi se joue un dialogue entre le moi empirique qui veut, désire, prétend être ce qu'on pourrait appeler un "moi idéalisé" ou fantasmé et le moi transcendantal, le sens commun cher à Descartes ou la Raison universelle en nous, qui dit la vérité de notre être. Aussi fort que le premier essaie de bâillonner le second, ce dernier est toujours audible. L'authenticité consiste à lui donner sa juste place dans le dialogue afin que les deux parlent d'une même voix et que le Sujet soit aligné avec lui-même.
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