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Penser, est-ce s'inquiéter ?



Quand on voit les injonctions du développement personnel ou de la méditation pour "arrêter de penser" on découvre que pour de nombreuses personnes, penser signifie en fait s'inquiéter, se poser plein de questions et tourner en rond ou, dit de manière plus vulgaire "se prendre la tête". Or ceci est une manière de céder à la crainte en remplissant notre espace mental avec des idées souvent impuissantes car ni fondées objectivement ni solidement construites.

Pourtant penser, dans la tradition notamment socratique et celle de la pratique philosophique, est au contraire une activité qui, tout en étant active car exigeante et productive, procure des plaisirs subtils : prendre de la distance avec ses émotions, purifier nos connaissances, comprendre soi-même et autrui, construire et se lancer dans des hypothèses, trouver des concepts et poser des questions puissantes et porteuses.


Alors, penser, est-ce s'inquiéter ?


Oui

1 - Oui pour nombre d'entre nous, penser c'est anticiper des choses négatives qui pourraient survenir dans le futur : s'inquiéter pour la pérennité de son emploi, pour la réussite à ses examens une fois qu'on les a déjà passés, pour l'image que nous donnerons à nos collègues lors de cette présentation importante etc.

Dans cette manière de penser, on imagine en fait ce que pourrait être un futur dont nous ne maitrisons pas le cours et qui dépend de facteurs indépendants de notre volonté. C'est une forme de pensée imaginative, par associations d'idées et analogies et qui est principalement mue par la crainte en-deçà. Dans ce cas Pascal a parlé des "puissances trompeuses de l'imagination. Les pensées fusent et les conclusions hâtives viennent nous hanter.

Concept : crainte.


2 - Penser c'est aussi "se poser beaucoup de questions" ce qui est très proche de l'inquiétude. Mais dans ce cas le questionnement porte plutôt sur nous-même et les questions se mélangent et restent sans réponses. Le Sujet devient confus, impuissant et se fatigue à ressasser toujours les mêmes idées. Comme il est confus il est aveugle et c'est cela qui l'inquiète, il fait du sur-place.

Concept : confusion, ressassement.

3 - Penser c'est se confronter à des problèmes et potentiellement à des conflits. Si on analyse par exemple sérieusement une situation de couple on peut en arriver à la conclusion logique et implacable que la séparation est la meilleure chose. Mais comme cette pensée est trop douloureuse alors on évite d'y penser. Alors qu'en fait ce n'est pas penser qui inquiète mais c'est la conclusion que l'on risque de devoir en tirer et que nous ne voulons pas voir en face.

Concept : refoulement, évitement.


Non

1 - Non penser ce n'est pas s'inquiéter parce que penser c'est d'abord prendre de la distance avec ses émotions, sortir de la crainte en déconstruisant rationnellement cette dernière, lentement et en cherchant des sources d'informations aussi objectives que possible. Penser serait justement identifier nos inquiétudes, nos craintes, et évaluer leur légitimité, ce qui est une manière de s’en distancier.

Concept : déconstruction.


2 - Penser c'est se concentrer sur des objets précis : une hypothèse, un argument, un concept, une question, une réponse, un exemple. Cette concentration nous oblige à sortir de nous-même et à prendre de la distance (comme dans le point 1) et à être pleinement dans l'acte de penser lui-même, ce qui offre à peu près les mêmes avantages qu'une méditation en termes de tranquillisation des émotions.

Concept : concentration.


3 - Penser c'est faire confiance : à la raison commune, « chose la mieux partagée du monde », à notre raison, à celle d'autrui. Cette confiance nous permet de nous engager dans des hypothèses en réponse à une question. La question est l'expression dynamique d'un problème identifié, résultat du processus vu en (2). Faire confiance c'est faire un pas en avant, c'est prendre un risque et c'est donc agir. Cela va à l'encontre de l'inquiétude qui en général témoigne de notre impuissance.

Concept : confiance, courage.


4 - Penser, c'est créer, construire, inventer. Quand nous pensons avec méthode nous produisons des idées et les évaluons. Le fait de construire des idées et de les relier par des connecteurs logiques procure un plaisir intellectuel subtil, a fortiori si on prend la peine de poser nos idées par écrit, exactement comme je suis en train de le faire au moment où j'écris ces lignes. Ce plaisir balaie toutes mes inquiétudes et renforce ma confiance quand je vois "mon œuvre" sous mes yeux, aussi brouillonne et pauvre soit elle. J'ai activement créé quelque chose de relativement nouveau et ne me contente pas de subir des pensées qui s'imposent à moi par ma crainte, je regagne de la puissance.

Concept : création, production, créativité, puissance.


5 - Penser c'est dialoguer avec soi-même et si possible autrui voire un groupe. C'est un phénomène dynamique de rencontre avec l'autre dans une saine confrontation. Cela me permet d'accéder à l'altérité et d'entrer dans une certaine communion rationnelle avec mes collègues de pensée. Nous constatons que nous avons cette faculté en partage et cela nous stimule, nous énergise, nous dynamise. Or l'inquiétude au contraire nous pompe de l'énergie, la diffuse et la gaspille.

Concept : stimulation, énergie.


6 - Se penser, c'est aussi s'inclure dans sa propre pensée, se penser en tant que Sujet. Le sujet entre en dialogue avec lui-même, le moi empirique dialogue avec le moi transcendantal, et revient sur ses propres processus mentaux. Il contemple son existence et voit les problèmes ou contradictions qui font obstacle à sa sérénité. Penser c'est apprendre à mieux se connaitre et à s'accepter ou à se transformer par un travail rigoureux.

Concept : réflexivité.


7 - Penser c'est séjourner auprès du négatif en soi-même : voir ses contradictions, ses impensés, ses angles morts, ses peurs, tristesses et colères, ses lâchetés, ses mensonges, sa mesquinerie, sa fatuité et son égocentrisme, sa stupidité et son avidité. Voir tout cela et en retirer un sens pour le mettre à sa place, le dédramatiser puis le dépasser dans une vision esthétique de soi.

Concept : dialectique.

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