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Décevez votre famille




"Déception

Décevoir ses amis est plaisant. Expérience de liberté, expérience de puissance. Décevoir sa famille est une obligation morale." (O.B.)

Faire l'expérience de sa liberté et de sa puissance est chose plaisante que nous devrions rechercher plus souvent pour elle-même, puisque les contraintes, les obligations, le devoir, le respect des règles rythment notre vie. Or il est un moment, certes en général vécu négativement, où cette liberté et cette puissance trouvent leur place naturelle. C'est le moment où nous décevons les attentes qu'autrui a de nous, attentes qui sont souvent illégitimes.

Nos amis par exemple, peuvent attendre beaucoup de nous, y compris ce que nous ne soupçonnons pas. Ils peuvent attendre de nous par exemple que nous aimions leurs propres amis ou leur famille. Quand ce n'est pas le cas, ils sont déçus et nous ressentons notre liberté de choisir comme une douleur. Mais nous devrions faire de cette douleur une puissance. Parmi les personnes que nous sommes souvent amené(e)s à décevoir il y a nos parents et nos enfants, surtout à partir du moment où ceux-ci ont de fortes attentes en matière de réussite scolaire, de fréquentations amicales ou amoureuses, de réussite sociale ou matérielle. Les parents sont rares qui ne projettent pas d'une manière ou d'une autre leurs propres attentes sur leurs enfants. Ce n'est pas un mal si on en est conscient et que l'on peut s'en empêcher la plupart du temps. Il y a dans ces attentes une part de peur : peur que nos rejetons ne soient pas heureux, qu’ils soient précaires, dépendants, instables, drogués... Mais il y a plus sournoisement aussi la volonté que nos enfants compensent nos propres manques, réparent nos fautes, payent nos dettes, comblent nos propres défaillances. C’est à ce moment que se produit un “abus d’attentes” et que le parent, face à la légitime rébellion des enfants, prend conscience qu'il a face à lui une liberté irréductible qu'il ne peut pas maîtriser et qu'il ne devrait pas maîtriser d'ailleurs.

Cependant certains parents tentent d'imposer un schéma à leurs enfants tout en étant paradoxalement et secrètement heureux et fiers que ceux-ci leur tiennent tête et expriment leur liberté par une forme de rébellion, de lutte ou de "je m’enfoutisme" de bon aloi. Les enfants ont peut être d'autres ambitions que de reprendre le magasin ou l'affaire familiale, que de faire carrière dans un groupe international comme papa, de monter leur boîte comme maman ou de rentrer dans l'administration ou de l'Education Nationale comme c'est la tradition dans la famille.

La tradition est à ce propos une manière insidieuse de faire perdurer des attentes implicites envers nos rejetons sans jamais questionner leur fondement ni leur légitimité. Il y a une sorte de continuité naturelle qui se fait de generation en generation : “mon fils sera médecin comme moi et comme je le fus après mon père”, la question ne se pose même pas. L'enfant qui brise cette continuité et exerce sa liberté crée de profondes déceptions envers ses parents, déceptions qui ne seront peut-être d'ailleurs jamais exprimées par les parents en question : ils espéraient secrètement, sans oser l’affirmer, que leurs enfants allaient “marcher dans leurs pas”.

Ainsi celui ou celle qui n’a jamais déçu sa famille n’a pas assumé sa liberté et s’est cantonné(e) au rôle confortable (quoique cela dépende encore des attentes des parents) de “bon fils” ou de “bonne fille” qui a toujours répondu aux attentes de ses parents. Viendra un jour où, les attentes ayant été remplies, il ou elle regrettera de ne s’être pas suffisamment laissé(e) aller à ses penchants naturels qui le(a) portaient ailleurs que dans cette voie toute tracée. Il(elle) en formera de la culpabilité et en voudra à ses parents pour la pression indue qu’ils lui ont mise sur les épaules. Un peu tard pour se rebeller, passée la quarantaine.

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